dimanche 26 juin 2016

Ernest Pignon-Ernest, "Extases"

                 Eglise abbatiale de Saint-Pons, Nice




                        Une église, un plan d’eau et l’obscurité : tel est le dispositif mis en place par Ernest Pignon Ernest pour célébrer l’extase des corps mystiques .  On y verra sans doute la métaphore d’une grotte qui formalise cette tension intérieure  absorbant les figures quand elles sont hissées aux confins de la folie.
                    L’artiste nous plonge dans cet espace nocturne entre ciel et terre où les figures des corps mystiques se déploient dans un drapé qui tombe sur un plan d’eau sur lequel elles se dédoublent  par l’ effet de miroir. Le dessin de la torsion des corps s’y dépose comme des empreintes flottant dans cette eau morte qu’un éclairage mouvant renforce par des effets d’ombre, de plis et de replis, d’apparition et de disparition.

                   Pourtant ce plan d'eau ne se réduit pas ici à l’effet esthétique aussi intense soit-il. S' il est bien ici à la charnière d'un espace, on  peut  surtout  l'envisager comme étant l'élément signifiant de l’œuvre. Dans la Bible, cette phrase: « Les eaux m’ont environné jusqu’à l’âme. » (Jonas 2:5)
                  Julia Kristeva, dans son travail sur l’extase de Sainte Thérèse d’Avila, l’avait parfaitement analysé: « A suivre ses textes, je saisis que l’eau signifie pour la moniale le lieu de l’âme et du divin: lien amoureux qui met en contact la terre sèche du jardin thérésien avec Jésus. » Puis, empruntant la voix de Thérèse, elle ajoute: « La fiction de l’eau m’associe à Dieu sans m’identifier, elle maintient la tension entre nous et, tout en me remplissant du divin, m’épargne la folie de me confondre avec lui: l’eau est ma protection vivante, mon élément vital. » Puis, montrant à la suite d’Husserl combien la fiction « fertilise » les abstractions, Kristeva écrit: « Jamais peut-être cette valeur de la fiction comme « élément vital » pour la connaissance des « vérités éternelles » n’a été aussi justifiée que dans l’usage de l’eau par Thérèse écrivant ses états d’oraison. »

                  C’est bien cette fiction là qui se matérialise dans un récit, mettant en acte une pensée à l’intérieur d’une œuvre d’art, que nous propose Ernest Pignon Ernest. L’extase mystique est saisie dans le silence d’un cri étranglé aux lisières  de la démesure, de la transgression et de cette folie dont l’artiste n’a cessé d’explorer les contours dans les portraits de tous les saints maudits,  Genêt, Le Caravage, Artaud, Pasolini, Rimbaud…

                  Sur ce plan d’eau, rien ne se purifie quand l'ombre du désir extrême hante de nouveau les fantômes qui traversent la nuit de la « grande mort. » 



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