vendredi 9 septembre 2016

Cécile Andrieu, "Soufflare"

Galerie Depardieu, Nice





                       En exergue à son ouvrage sur le Japon, « L’empire des signes », Roland Barthes écrivait: « Le texte ne commente pas les images. Les images n’illustrent pas le texte: chacune a été seulement pour moi le départ d’une sorte de vacillement visuel, analogue peut-être à cette perte de sens que le Zen appelle un satori: texte et images, dans leur entrelacs, veulent assurer leur circulation, l’échange de ces signifiants: le corps, le visage, l’écriture, et y lire le recul des signes. »
                            Le recul des signes, leur absorption dans la matière en même temps qu’ils désignent le vide et le silence, voici toute l’œuvre de Cécile Andrieu qui se construit dans cette parenthèse du sens,  en écho à ce Japon où elle travaille et réside.

                          L’exposition s’élabore dans l’extension même de son titre: « Soufflare », ce mot aussi incertain, invisible, que le souffle qui le traverse. Etre en proie à cette tension là, à cette circulation  transparente d’un esprit à rebours des mots, au risque d’en revenir toujours au point originel, à la lettre, telle est la démarche de l’artiste qui déploie ses œuvres  dans l’opacité du noir, la découpe du blanc, du plein et du vide. A l’origine, la langue et le livre pour dire le monde et comment percevoir celui-ci quand il ne serait que reflet ou conséquence de nos mots? Telle serait l'hypothèse folle d'une phénoménologie sans autre référent que l'élément linguistique qui la constitue. Mais ici faudrait-il encore recourir à ce code constitutif du langage, à cette clôture, à ces 26 lettres de l’alphabet qui en énoncent la trame.

                        Le travail de Cécile Andrieu consiste à en explorer les potentialités, par des jeux de construction et de dissolution, par une scénographie qui parvient à s’emparer d’un espace sans rejeter l’autonomie de l’objet. Celui-ci reste allusif, comme soumis à son balbutiement originel: trace de livre, de dictionnaire, de lutrin, débris de lettres. Ou bien il affronte la verticalité du mur, s’érige en barre de soutien ou en système de rouleaux ou de piles montés sur ressorts  auquel il se confronte dans des rapports d’énergie et d’équilibre. La lettre demeure obstinément  la trace, le résidus, la parole blanche, l’aléatoire  Le signe se coagule dans la matière; il entre dans cette congruence qui définit les choses pour peu qu’elles  deviennent  ce jeu, cet agencement où mots et syntagmes surgiraient en leur détour. Mais rien n’adviendra si ce n’est le silence et la seule beauté du jeu: « Le jeu de langage ne repose sur aucun fondement. Il n’est pas raisonnable. Il est là comme notre vie. » écrivait Wittgenstein.

                        L’intervention de l’artiste se porte dès lors sur ce dispositif qui met à nu les mots qui conditionnent la pensée et irriguent tout système de représentation. La lettre est cette matrice, ce socle originel, visible mais dépourvu de sens en lui-même quand il reste inopérant dans son extrême solitude. Ce socle littéral est pourtant cet élément primordial, cette pierre de Rosette qui nous permet de traduire,  d’élucider le monde ou du moins de l’évaluer en terme de visibilité et d’intelligibilité.

                      On retrouvera ici toute la démarche poétique de Mallarmé, tendue jusqu’à l’abstraction, hantée par le vertige de l’absolu. Précisément ce cheminement que Jacques Derrida énonçait en 1974 dans « Mallarmé. Tableau de la littérature française »:
                     « Il reste que le « mot », les parcelles de sa décomposition ou de sa réinscription, sans pouvoir jamais être identifiables dans leur présence singulière, ne renvoient finalement qu’à leur propre jeu, n’en sortent jamais en vérité vers autre chose. »

                     Le jeu reste ainsi le maître mot. Pour Mallarmé ses règles et ses invariants  s’engouffrent dans les "plis" du hasard, là où le vide pourrait encore se formuler. C’est dans ce pli que se matérialise l’œuvre hiératique, silencieuse mais lumineuse de Cécile Andrieu.








                 


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