jeudi 13 octobre 2016

Emmanuel Régent, "L'entre monde"

               Espace à vendre, Nice



                  Ce terrain mouvant de l’expérience, il  s’agit aussi bien de l’ensemencer que de le défricher. C'est ce terrain-là qu' Emmanuel Régent ne cesse d'arpenter: Un « entre monde » incertain où le dessin balbutie parmi d’autres hypothèses lorsque l’artiste explore aussi le fond de la mer pour prélever des résidus de coques de bateaux, quand il reproduit fidèlement une voûte céleste sur un store percé d’étoiles, quand il ponce des peintures pour en extraire le témoignage de la couleur… Autant d’approches qui assignent à l’œuvre sa précarité, la renvoient à tout un processus dont l’origine importe de la même manière  que son aboutissement.

                 Le dessin reste la trace de cette élaboration fragile; il se saisit de l’image à l’instant incertain ou celle-ci parvient à s'extraire en menaçant déjà de s’effondrer. On pense d’ordinaire le dessin par des traits qui se déplient, les contours de figures autonomes, les masses construites contre un blanc vide qu’il s’agirait de remplir. Tout le trouble dans l’œuvre d’Emmanuel Régent procède pourtant d’un renversement: Aucune ligne mais des stries qui s’accumulent et saturent quelques pans de l’espace. Celles-ci incisent la figuration tout autant qu’elles l’ « excisent », c’est-à-dire qu’elles font jaillir, à la surface, l’incertitude propre à toute figuration. Le dessin se charge ainsi d'une épaisseur qui déstabilise ce qu'il est censé représenter.
               Deux phrases de Marie-José Mondzain pourraient nous guider dans cette exploration: « L’image n’est pas là pour ce qu’elle montre mais pour ce qu’elle ouvre comme champ infini au regard » et « J’appelle image ce qui dans tout champ du visible échappe à la communication ».

               Ici le dessin ne parle pas, ou bien alors  d’une « voix blanche ». Les stries superposées suggèrent l’ébauche d’une catastrophe en suspension mais dévitalisée, dénuée de tout pathos, de toute information. Au contraire, l’image dans son essence même, est ici déformation , instant fragile où tout peut se construire et se défaire.

               L’horizon de ce dessin réside alors en ce point de disparition qui le hante et il ne s’agit plus donc d’effacer mais plutôt de consacrer les déséquilibres, les marges, les ruines qu’il ne faut plus seulement représenter mais bien inscrire dans le corps et le processus même du dessin. Car la représentation est alors donnée comme friable, moment d‘une érosion du sens; l’image est floutée, saisie à l’instant décisif de sa révélation. Il nous revient d’en percevoir le danger comme il nous est aussi permis de nous extraire de ses décombres si nous osons nous aventurer dans « le champ infini au regard ».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire