mercredi 5 octobre 2016

Marc Chevalier, "La chair des ombres"

        Le Dojo, Nice           



                            Entrer au Dojo c’est immédiatement se confronter à un choc physique, par la sensation presque tactile d’un espace saturé, par l’odeur du bois et, bientôt, à ce choc succède la désorientation : le désordre mental s’empare de celui qui s’ aventure en ce lieu… Et cette expérience lui permet alors de déconstruire à son tour ce bric à brac informel de bois brut, d’éléments de marqueterie de tous styles et d’époques diverses. Ainsi le lieu se dérobe-t-il au sens, devient-il contradictoire, sans repère, comme en attente d’implosion.


                     L’absurdité ici du bois, aussi incongru qu’anachronique  dans  un espace normalement dévolu au travail, au design et à la communication, se mesure à ce qui d’ordinaire structure le lieu : des rangées de placard métalliques pour une architecture blanche et froide. Mais là encore, voici que les rayonnages se tordent, qu’ils jouent du déséquilibre et que la rationalité normalement de mise dans cet open space créatif se trouve menacée par ces collisions et ces contresens.

                      C’est ce grand écart ironique que met en scène Marc Chevalier dans un jeu performatif qui se poursuit, de la récolte des encombrants, jusqu’à la création d’une architecture improbable, précaire, instable, menaçante. L’œuvre n’est ici que l’instant fragile d’une démarche qui nargue les notions d’utilitarisme et brise l’espace comme dans un éclat de rire. L’humour guette : cette construction absurde ne serait-elle pas l’image d’un autre versant, le reflet grimaçant de cet autre côté du miroir, là où le travail réel s’élabore ?

                      Ainsi à « la chair des ombres » -titre tout aussi hermétique que métaphorique- répondrait aussi bien, par un chiasme ironique, « l’ossature de la lumière ».  Car si l’espace s’opacifie, des méandres de sens tissent pourtant  de subtils réseaux comme seul éclairage,  à travers lesquels nous tâtonnons tout en nous y heurtant comme condition pour un autre regard, pour un  rapport nouveau à ce qui nous socialise ou nous désocialise.


                       Cette forme de clair-obscur, de double sens, serait donc ce conflit inhérent à chaque structure. Ainsi toute proposition serait-elle réversible, soumise à cet imperceptible point d’équilibre à partir duquel tout peut s’effondrer. L’humour et l’absurde sont d’implacables machines à disséquer le réel.


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