Entre palissades et travaux, vue de la route qui longeait le port, la
sculpture « Lou Che » de Noêl Dolla hérissait ses
crêtes désarticulées, peintes de couleurs industrielles, qui
évoquaient celles des grues et autres installations portuaires. Ces
mêmes couleurs qui s'accordaient à la fois aux façades alentour mais tout en les désarticulant. Le chaos s'ajoutait alors au chaos.
Plus
tard, une fois l'espace dégagé, la sculpture découverte de la
partie inférieure du port à la sortie du tunnel du tram émergeait
avec la violence d'une fleur jetée vers le ciel. Ses pétales
anguleuses ciselaient la lumière de la Méditerranée avec des
reflux d'images, des découpes de grues et de barques entremêlées. Elles se mesuraient tant à l'ancien récit d'une architecture somptuaire qu'à l'espace des hommes qui
y travaillèrent, ouvriers et pêcheurs, avec la sueur des mains
calleuses et cette obstination à déchirer l'apparence d'un décor
pour en extraire leur histoire et leur réalité.
C'est ainsi que la sculpture prit son envol dans une beauté brutale
confrontée à un encadrement de pierres et aux ocres et rouges
environnants. Les teintes de la sculpture se fondaient à eux tout en
déstructurant l'ensemble comme pour un assemblage dont il faudrait
désormais penser chaque strate de son histoire. L'artiste de
Support-Surface revenait ainsi à ses sources et le spectateur se
heurtait à ce regard divergent au point de lui-même « loucher »
entre ancien et nouveau pour recomposer cet autre espace entre la
symétrie portuaire et la vie réelle à laquelle elle se
confrontait.
Ce point de confrontation se cristallise aujourd'hui dans « Lou Che »
de Noël Dolla. Avec bien sûr quelque chose de louche, dans cette
beauté saisie dans son côté trouble et dangereux mais de celle
qui fait vaciller ces beautés déjà fanées tant elles ne vibrent
plus au monde. « Lou Che » se revendique haut et fort en
mots, en formes et en couleurs. Il s'inscrit comme une réminiscence
du Che, un amour surtout pour la mer et la lumière. Homère aussi n'est pas
loin et Ulysse et ses ruses pour vaincre les dieux, vivre le désir et redonner justice à sa terre perdue. Nikaia reste bien ici la mère de Nice.
On eut alors le droit à une picrocholine querelle d'Hernani autour
de l’œuvre. Anciens et modernes, on pétitionna. Les uns crispés
sur une image qu'il ne fallait pas effleurer, les autres drapés
parfois dans l'arrogance de leur savoir. Pétitionner revient souvent
à ne rien argumenter pour seulement se positionner dans un camp.
Mieux vaut alors prendre le large, voguer dans les vagues et le ciel,
ne serait-ce qu'à l'aide d'un esquif déglingué... L'aventure de
l'art est à ce prix.