Galerie le 22, Nice
Une coïncidence peut ne pas résulter de la seule rencontre fortuite d'éléments qui, à priori, ne devrait avoir lieu. Le "hasard objectif" d'André Breton trouvait sa source dans Najda en 1929 et "les pétrifiantes coïncidences" de sa rencontre avec la jeune fille. Une notion que Breton définira plus tard comme "forme de manifestation de la nécessité" et Eluard comme "une physique de la poésie".
Cette idée d'incidences qui se rencontrent ou plutôt, se mesurent entre elles pourrait être la clé de voûte du travail de Frédéric Nakache, en ceci que le souci d'architecture se confronte à des objets qui s’interrogent mutuellement, dialoguent de façon univoque et se heurtent. Claude Lévi-Strauss dans "La pensée sauvage" utilisait le concept de bricolage pour dépasser le "hasard objectif" du surréalisme en écrivant: "Le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d'élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d'autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d'événements."
C'est de cela que traite Frédéric Nakache, de structures et de mythes. Et, on le verra, de désir et de sexe. Et de mort. C'est à dire de "résidus et de débris d'événements". Et qu'il me soit donc permis de mettre ici en collision l'oeuvre reproduite plus haut désignant un perroquet et un élément emblématique de la "nature morte", la grenade, avec deux tableaux, "La femme au perroquet" peints par Courbet puis par Manet:
La figure chez Nakache disparaît désormais dans la mise en scène des signes, des ombres et de la seule structure d'un dispositif pictural qui s'énonce par le biais de la photographie qui l'amène à son terme et l'annule. L'histoire de la peinture, et de façon plus évidente, les pièges de la représentation traversent l'oeuvre de l'artiste. Son travail photographique joue sur des effets de trompe-l’œil, de jeux d'échelle faussés, de constructions en porte à faux, de paronomase et de frictions substantielles -structures métalliques et rappels de récurrences picturales - qui se brutalisent logiquement et esthétiquement.
Dans l'œuvre de Manet, on retrouve, avec la citation du citron pelé, ce lien avec la nature morte qui, à son origine est une manière de peindre illusionniste. On connaît l'histoire de Zeuxis qu'évoque Pline l'Ancien: Les raisins qu'il avait peints étaient si fidèlement rendus que les oiseaux venaient les picorer... Cette histoire du trompe-l’œil et du spectateur trompé hante l'art à partir du XIVe siècle et se complétera avec les recherches de Vasari sur la perspective et l'architecture.
Dans l'œuvre de Manet, on retrouve, avec la citation du citron pelé, ce lien avec la nature morte qui, à son origine est une manière de peindre illusionniste. On connaît l'histoire de Zeuxis qu'évoque Pline l'Ancien: Les raisins qu'il avait peints étaient si fidèlement rendus que les oiseaux venaient les picorer... Cette histoire du trompe-l’œil et du spectateur trompé hante l'art à partir du XIVe siècle et se complétera avec les recherches de Vasari sur la perspective et l'architecture.
Frédéric Nakache confronte l'architecture brutaliste, avec ses découpes anguleuses, l'exhibition des matériaux et des équipements structurels, à une symbolique issue de la nature morte. Autant dire que le grand écart est vertigineux! Traditionnellement le perroquet est le symbole de la pureté et de l'innocence (On remarquera le superbe doigt d'honneur de Courbet à l'académisme!). De la même manière, dans "Le cantique des cantiques" la grenade, de par l'harmonie de ses formes et sa couleur passion, évoque le feu de l'amour et la sensualité...
"Brutales curiosa" est l'énonciation de cette aporie entre la rugosité d'éléments architecturaux sublimés par l’extrême précision du détail et les rendus dorés ou argentés d'éléments métalliques qui déroutent et déplacent la citation purement architecturale dans le code pictural. Un jeu donc de co-incidences qui fait du travail de l'artiste un métalangage quand, contrairement à tant d'artistes qui ne cessent "d'interroger", Frédéric Nakache, non sans humour, ne questionne rien d'autre que notre propre questionnement sur ce que définirait une oeuvre d'art.
"Brutales curiosa" est l'énonciation de cette aporie entre la rugosité d'éléments architecturaux sublimés par l’extrême précision du détail et les rendus dorés ou argentés d'éléments métalliques qui déroutent et déplacent la citation purement architecturale dans le code pictural. Un jeu donc de co-incidences qui fait du travail de l'artiste un métalangage quand, contrairement à tant d'artistes qui ne cessent "d'interroger", Frédéric Nakache, non sans humour, ne questionne rien d'autre que notre propre questionnement sur ce que définirait une oeuvre d'art.
Il y fallait donc l'inexpressivité radicale, la froideur et les collisions sémantiques. L'écho de l'histoire de l'art réduite à quelques signes emblématiques. L'écho des natures mortes associées aux vanités, à une méditation sur la vie et sur la mort. Entre ces deux pôles, voici le "curiosa", le sexe associé à la grenade, à la conque, donc à Vénus... L'herméneutique médiévale soutient que les choses, entre autres, sont dotées d'un sens anagogique, c'est à dire d'un sens que seul l'exégète peut déchiffrer. Pour Leibnitz cette "induction anagogique" est par ailleurs le principe qui permet de remonter à une cause première. Il y a tout cela dans le travail de Frédéric Nakache, la vie, la mort, le désir, l'aveuglement et le dévoilement. La cause première c'est l'art et l'énigme que ce seul mot recèle. Nous en avons pourtant ici, en image, une définition.
© michel gathier
© michel gathier