dimanche 6 mars 2016

Olivier Gredzinski, "Milky way"

                       Espace Gred, Nice




                         Comment peindre l’idée même de la représentation picturale avant qu’elle ne s’agglomère sous le signe d’une figure? C’est autour de cette question qu’évolue le travail d’Olivier Gredzynski. Non par la prégnance  d’un discours théorique mais par une réflexion sur la construction même de la figure, à travers ses ambiguïtés et ses pièges, sur l’illusion de la perspective comme écueil de tout projet narratif.
                         Car il ne s’agit pas ici d’une scène exhibée pas plus d’ailleurs que de l’obscène d’un décor mais bien de tout ce qui roderait autour d’un récit à la surface de la toile pour s’en emparer. Alors que la perspective nous engage d’emblée dans une traversée de la toile par un filament linéaire et temporel, par un jeu d’illusion optique qui nous dupe quant à l’image du monde qu’elle serait censée nous renvoyer, Gredzynski analyse le tableau, non pas dans sa matérialité mais dans ses effets de surface.
                          D’une certaine manière il interroge la peinture comme hier ceux de  Support Surface mais  en délaissant la problématique du châssis, de la matérialité du tableau pour se concentrer sur ce qui se dépose sur la toile. Marc Devade  avait déjà exploré ce champ mais dans le registre de l’orient, du plein, du vide et de l’abstraction. Ici la problématique est radicalement inversée: C’est bien le récit et la façon dont la surface de la toile s’organise qui est l’objet de cette recherche. Dans le jeu de l’huile et de ses transparences, dans la construction de « scènes » qui se nient et se répondent, de figures à la fois froides et désirantes.
                         Cette peinture  se module ici à la racine d’un signifié dont les constituants déterminent le caractère paradoxal. Elle semble contaminée par elle-même comme si la trame du récit, fondamentalement, était rongée par les couleurs acides, l’absence de linéarité et surtout, la mise en suspens du sens.
                        En effet, l’image produite, car Olivier Gredzynski s’attache  à sa  nature perverse , n’est ni frontale, ni décorative; elle n’induit aucun récit, elle n’expose ses traces qu’en tant que fragments de fantasmes qu‘il serait vain de décrypter quand le fantasme se structure de façon morcelée et ne saurait être  réductible au système de la  représentation . Donc ici aucun autre  discours que  cette seule illustration de ce jeu pervers auxquels s’adonnent les éléments représentés par le seul langage des moyens picturaux.
                        Voici donc des personnages qui pourraient être issus de l’imaginaire cinématographique mais qui semblent gélifiés par la matière même de la peinture. Et  des séquences qui  parfois se chevauchent dans une fausse  continuité ou, toujours, se renversent dans des cadrages décalés, instables,  quand  le tableau s’apparenterait à une carte à jouer, dans sa forme comme dans sa fonction de distribuer du hasard, de la logique et de la mémoire. Ces trois éléments  circulent ici non pour organiser la toile mais, au contraire, pour la contaminer, en extraire toute tentation de signification . Alors que Baselitz se contraignait à peindre à l’envers pour montrer comment la pensée pouvait envisager la représentation, Gredzynski inverse lucidement ses figures, ou parfois les dissout dans une sorte de fondu enchaîné, afin d’organiser un fond fantasmatique avant qu’elles ne s’articulent dans l’espace d’ une syntaxe ou d’un récit. Place est ainsi laissée à cette corrosion qui s’empare de  la peinture contre le récit et son discours globalisant qui rode aux lisières du moindre  signifiant.
                      Cette peinture se donne ainsi pour primale et, paradoxalement, elle s’appuie sur une série de  clichés tels que le pop art les a vulgarisés: des personnages figés dans leur fonction diégétique, coupés de toute subjectivité, aliénés à leur seule existence  de signes dans le spectacle et la marchandise. Les regards, tour à tour obstrués, occultés, éteints, organisent un dispositif pulsionnel qui met en scène une sensualité mise à mal par le choc de traits violemment expressifs et de clins d’œil au  classicisme dans certains fragments. Mais ceux-ci demeurent  les icones mortes d’une histoire vide, réduite à des images qui, de toutes parts nous pressent et nous oppriment. Il y a là, en germe, toute un fond sociologique, un regard sur le monde  qui n’apparaît, certes, qu’en guise de citation,  mais qui reste volontairement inabouti afin de ne pas brouiller le propos intrinsèquement pictural.
                     Car le peintre ne cherche pas ici à montrer ou à dire, mais plutôt à extraire les traces de ce que serait une représentation comme marque des subterfuges de la pensée, ,d’ une énigme ou d’ une illusion  construite à l’image de la caverne de Platon.
                     Autant dire que nous sommes ici confrontés à une œuvre rigoureuse, difficile,  dont la gravité apparaît quand , enfouis dans les coulisses de la représentation picturale, nous percevons comment, d’ordinaire,  un sens s’élabore et comment celui-ci se désigne fatalement comme image totalisante, digérée, confortable,  dans l’aliénation qu’elle produit et dans laquelle elle se love.
                    Or, aux antipodes de ce mensonge mortifère, l’art de Gredzynski est celui du déséquilibre et de la mise en abyme du sens. L’effroi se conjugue au bonheur sans que jamais nous puissions établir de frontières dans cette interface. Pis, il n’est pas certain que l’un ne soit pas la vérité de l’autre. Car la surface de la toile est cet écran qui occulte autant qu’il désigne. Une histoire de mensonge qui dit la vérité. Dans l’action même de montrer se profile le monstrueux et l’artiste reste celui qui manipule ce théâtre d’ombres dans lequel  se joue le combat du réel et du leurre sans que jamais les  règles ne soient clairement établies.
                    Les codes de cette guerre restent secrets; ils s’expriment devant nos yeux avec des armes, des cibles , des sourires enjôleurs et des larmes. Tous ces signes que l’écran ou le miroir nous renvoient dans ce décalage constant entre ce que serait l’image perçue et son négatif. Et ces couleurs liquides, cette dangereuse transparence de cellophane, dans une maîtrise retenue , à la mesure d’un univers factice, acidulé, acide, les voici qui  entrent en fusion avec leur corollaire, l’intensité du geste…
                   Nous sommes tout cela. Nous sommes dans cette histoire impossible, muette, que seul le peintre peut nous restituer. Nous sommes ce que cette peinture nous force à regarder mais que nous ne savons pas voir. Nous sommes ce qui est de l’autre côté du miroir, ce qui est interdit, rêvé peut-être… L’art reste cette transgression.






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