vendredi 13 mai 2016

Anny Pelouze, "silences"

                               

 Galerie Depardieu, Nice



                                   De toutes parts le vacarme surgit du monde dans la prolifération des images, des conflits, des revendications qui , soit méprisent l’art ou le prennent à la gorge, soit l’ignorent . A moins que l’art ne se les approprie et ne les transforme. Énigme du pouvoir de l’artiste…
                                   Il arrive pourtant que l’œuvre d’art traverse nonchalamment  ces espaces inquiets comme en quête d’un autre monde . Aucune nostalgie d’un paradis perdu  mais plutôt l’exigence d une exploration rigoureuse de ce point aveugle qui se donnerait comme horizon pour l’artiste qui s’y soumet, qui se charge de son souffle quand il  désire nous le transmettre. C'est ce souffle qui s’expose ici.
                                   Anny Pelouze s’adonne au silence. Celui-ci  dessine un  espace aussi bien mental que physique. On l’arpente dans le désert, on l’expérimente dans les matières qu’on laboure aussi bien qu’ on en extrait délicatement les zones de fragilité. Et de ces pérégrinations réelles ou imaginaires, naissent des photographies ou des travaux qui s’imprègnent des lisières du visible, de la gestation sourde du signe et des traces de la mémoire de cultures autres, lointaines, accessibles peut-être, inconnues toujours.
                                  Papier japon, papier de soie, de la gaze ou un  lin léger à la trame transparente , se superposent. Voici qu’alors les nervures tremblent, que sur les bords d’infimes lisérés dessinent de l‘or ou de la  nuit qui cernent brume et blancheur: L’espace flotte, emporté par un vent invisible dont nous partageons la lente respiration où s’éteignent les résidus des choses pour l’éclosion  d’une géométrie sourde, de cercles et de lignes à peine esquissés.
                                 Désert ou jardin zen, voici l’entre deux de cette expérience et  des brides de pages de « l’empire des signes » de Roland Barthes résonnent  dans cette œuvre. Ainsi en écho à ce titre « silences » faut-il lire ces pages de « Sans paroles »:

    « La masse d’une langue inconnue constitue une protection délicieuse, enveloppe l’étranger (…) d’une pellicule sonore qui arrête à ses oreilles toutes les aliénations de la langue maternelle.  (…) La langue inconnue, dont je saisis pourtant la respiration, l‘aération émotive, en un mot la pure signifiance, forme autour de moi, au fur et à mesure que je me déplace, un léger vertige, m‘entraîne dans son vide artificiel, qui ne s‘accomplit que pour moi».

                A la fin de son livre, Barthes évoque le corridor de Shikidai:                                                                                                          " Incentré, l’espace est aussi réversible: vous pouvez retourner le corridor de Shikidai et rien ne se passera, sinon une inversion sans conséquence du haut et du bas, de la droite et de la gauche: le contenu est congédié sans retour: que l’on passe, traverse ou s’asseye à même le plancher (ou le plafond, si vous retournez l’image), il n’y a rien à saisir."

                Il faut voir cet insaisissable, s’en pénétrer, vivre l’insupportable douceur du monde.




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