Le Dojo, Nice
Un récit est
supposé s’instaurer dès lors que des séquences se juxtaposent et s’enchainent
vers un dénouement. L’art de la fresque, en particulier, s’est souvent
construit de cette façon, additionnant les personnages en situation, d’une
icône à l’autre, dans la linéarité d’un schéma narratif. Souvent religieuse,
volontiers héroïque, de la Renaissance à la révolution mexicaine, la fresque
excelle dans le discours moralisateur, revendicateur et coercitif. Celui-ci se
veut limpide, lumineux et justifie son actualité par le rappel d’anciens mythes
ou de cosmogonies sur lesquels elle veut asseoir sa légitimité historique.
Pourquoi
donc parler de « fresque » et de l’engagement qu’elle implique quand
on veut parler du travail de Quentin Spohn au Dojo de Nice ? On le verra
ce travail-là s’inscrit radicalement à rebours de l’idéologie qu’elle serait
censée véhiculer mais il en souligne pourtant ses marqueurs formels : le rapport au
mur, le développement des séquences visuelles comme vecteur d’une narration. Le
contenu lui-même n’échappe pas à l’idée
de fresque quand l’artiste joue de cadrages et de signes qui rappellent des
mythes lointains tels ceux en œuvre dans l’art précolombien.
Pourtant Quentin Spohn, au-delà de l’exploit
que représente un tel travail de dessin dans une surface si imposante, parvient
à s’émanciper de la narration, de sa tentation romantique ou d’un quelconque
messianisme. La relation au fantastique ou au surréalisme est présente comme
seul repère formel. De même que l’artiste parvient à s’affranchir du temps en jouant sur le passé, la science-fiction, les nouvelles
technologies, les effets d’apparition et de disparition qui parasitent toute
interprétation hors champ, c’est-à-dire dans un imaginaire autre que celui que
l’image produit. Et s’il fallait parler d’ « héroïsme » ici ce
serait pour la force du travail lui-même en ce qu’il se donne comme producteur
de sens et non pas comme énonciation dans un espace totalisant qui serait le calque d’une représentation du monde.
Nous ne
sommes pas, en dépit des apparences, dans la mémoire des enfers d’Homère ou de
Dante, ni dans « La création du monde « de Michel Ange. Nous sommes
d’ailleurs projetés si loin de ces interactions entre le réel et
l’imaginaire ! Sans doute ne faut-il voir ici aucune illustration mais
plutôt, par cette multiplicité de signes
que l’artiste désigne et efface tour à
tour, un système de ponctuation visuelle, une scansion purement
graphique dans laquelle la représentation se consume et s’éteint.
Autant
dire que ce travail agit au plus près de ce qu’il faut exiger de l’art : A
dire le monde tout en revendiquant l’autonomie radicale de l’œuvre. C’est dans
cet interstice tout autant mental que physique que ce travail à la pierre noire
développe sa cohérence, ses fulgurances. Ici le magma originel se coagule dans
les chiffres, le langage informatique procède du biologique, le corps
pulsionnel se dispute au vertige de l’univers : Une épopée donc. Une
épopée dont l’artiste serait l’ultime héros.
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