jeudi 5 mai 2016

Quentin Spohn, Restitution de résidence.

             
 Le Dojo, Nice



               

                         Un récit est supposé s’instaurer dès lors que des séquences se juxtaposent et s’enchainent vers un dénouement. L’art de la fresque, en particulier, s’est souvent construit de cette façon, additionnant les personnages en situation, d’une icône à l’autre, dans la linéarité d’un  schéma narratif. Souvent religieuse, volontiers héroïque, de la Renaissance à la révolution mexicaine, la fresque excelle dans le discours moralisateur, revendicateur et coercitif. Celui-ci se veut limpide, lumineux et justifie son actualité par le rappel d’anciens mythes ou de cosmogonies sur lesquels elle veut asseoir sa légitimité historique.
                                    Pourquoi donc parler de « fresque » et de l’engagement qu’elle implique quand on veut parler du travail de Quentin Spohn au Dojo de Nice ? On le verra ce travail-là s’inscrit radicalement à rebours de l’idéologie qu’elle serait censée véhiculer mais il en souligne pourtant  ses marqueurs formels : le rapport au mur, le développement des séquences visuelles comme vecteur d’une narration. Le contenu lui-même n’échappe pas  à l’idée de fresque quand l’artiste joue de cadrages et de signes qui rappellent des mythes lointains tels ceux en œuvre dans l’art précolombien.
                                      Pourtant Quentin Spohn, au-delà de l’exploit que représente un tel travail de dessin dans une surface si imposante, parvient à s’émanciper de la narration, de sa tentation romantique ou d’un quelconque messianisme. La relation au fantastique ou au surréalisme est présente comme seul repère formel. De même que l’artiste parvient à  s’affranchir  du temps en jouant sur  le passé, la science-fiction, les nouvelles technologies, les effets d’apparition et de disparition qui parasitent toute interprétation hors champ, c’est-à-dire dans un imaginaire autre que celui que l’image produit. Et s’il fallait parler d’ « héroïsme » ici ce serait pour la force du travail lui-même en ce qu’il se donne comme producteur de sens et non pas comme énonciation dans un espace totalisant qui serait  le calque d’une représentation du monde.
                                     Nous ne sommes pas, en dépit des apparences, dans la mémoire des enfers d’Homère ou de Dante, ni dans « La création du monde «  de Michel Ange. Nous sommes d’ailleurs projetés si loin de ces interactions entre le réel et l’imaginaire ! Sans doute ne faut-il voir ici aucune illustration mais plutôt,  par cette multiplicité de signes que l’artiste désigne et efface tour à  tour, un système de ponctuation visuelle, une scansion purement graphique dans laquelle la représentation se consume et s’éteint.

                                      Autant dire que ce travail agit au plus près de ce qu’il faut exiger de l’art : A dire le monde tout en revendiquant l’autonomie radicale de l’œuvre. C’est dans cet interstice tout autant mental que physique que ce travail à la pierre noire développe sa cohérence, ses fulgurances. Ici le magma originel se coagule dans les chiffres, le langage informatique procède du biologique, le corps pulsionnel se dispute au vertige de l’univers : Une épopée donc. Une épopée dont l’artiste serait l’ultime héros.



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