Fondation Louis Vuitton, Paris
Jusqu'au 29 août 2022
Que comprend-on du «hasard» si on ne le relie à l'étymologie arabe de ce mot signifiant "un jeu de dés"? Simon Hantaï, dans un même geste mallarméen, lance un coup de dés sur la toile. Et, de sa décision, ne demeurera que la trace imprévisible des fluctuations extérieures qui président à l'imprégnation de la couleur sur son support. Loin du démiurge et de l'artiste voulant représenter le monde, Hantaï comprend que l’œuvre reste soumise à des variations incontrôlables par l'esprit et qu'il importe de dévoiler celles-ci, d'en écrire la partition. A la suite du dripping de Pollock, il s'écarte donc de tout psychologisme mais, à la plasticité du geste, il oppose l'autorité de la toile, sa capacité à enregistrer l'empreinte d'un processus et d'en inscrire toute la sérialité.
D'abord proche des surréalistes lorsqu'il arrive à Paris en 1948, Hantaï se détourne de l'inconscient et des rêves pour explorer le pouvoir mécanique et aléatoire de la forme et de la couleur. Pourtant le support reste la condition essentielle de l’œuvre, sa matière première à l'instar d'une page blanche en attente d'une écriture. En 1950, à partir de la photographie d'un corps enveloppé dans un linceul, il réalise une peinture, «La Momie». C'est alors la révélation du tissus qui s’imprègne, du suaire qui se tache, du drapé qui enveloppe et de l'emprise du support.
L'exposition de la Fondation Louis Vuitton retrace les étapes de ce parcours qui progresse entre le pliage comme méthode mais aussi avec l'incidence du blanc, du signe et de l'écriture. Et comment ne pas songer à ce livre de poèmes d'Henri Michaux, «La vie dans les plis», et à cette même ferveur pour les strates comme couches de la pensée et les dessins que celui-ci exécuta dans leur répétition des corps qui se coagulent en signes jusqu'à se confondre en une matière informelle et noueuse? Hantaï, lui, sera aussi ce poète, moine-soldat du signe qui se matérialise en couleurs dans la toile à force de pliages et de dépliages, d'estampages et de frottements, de nouages et de libérations pour que les jeux chromatiques se déposent enfin, en carrés ou en angles, et déchirent la blancheur qui se décompose ou triomphe.
Les peintures d'Hantaî sont autant de stations dans cette ascèse ritualisée, toujours à la recherche de nouvelles incisions dans le corps de la peinture pour lui faire rendre gorge. C'est cette voix qu'on entend lorsqu'on se soumet à la monumentalité de ses toiles, à ses couleurs déchirées et aux entailles de la blancheur. Hantaï peint à l'aveugle, sans préjuger du résultat obtenu lors du dépliage. Il ne s'adosse qu'à ce dispositif pendulaire du plein et du vide, cette oscillation entre silence et résonance par le seul mouvement d'une gamme chromatique qui s'empare de l'espace. Des découpes de couleurs primaires ou complémentaires font écho à Matisse et la blancheur vibre de leur attente. Simon Hantaï aura dessillé notre regard sur la peinture.