Musée d'Art Moderne de Paris
Jusqu'au 28 août 2022
Oublions l'idée que la photographie puisse donner quelque aperçu d'une toile d'Eugène Leroy. D'abord parce sa peinture prend à revers l'image pour en saisir la matière qui la compose et l'anime. C'est cette matière, et seulement elle, qu'il veut représenter si bien que le motif n'est alors qu'une voie d'accès à l'essence même de la peinture qui, elle-même, nous permettrait de pénétrer l'essence du monde. Représenter ne s'accorde donc plus à la mimesis ou au lisse d'un miroir mais, au contraire, relève d'une expérience tactile qui prend en charge la main de l’artisan qui maçonne autant qu'elle façonne. Eugène Leroy est un de ces rares artistes qui travaille davantage sur l'épaisseur que dans la transparence. Il ne s'écarte du dessin ou de la couleur que pour sonder les entrailles du sens à partir de la puissance d'une glèbe originelle.
Pour lui, peindre c'est prendre à bras le corps l'espace et le temps. Pour le professeur de latin et de grec qu'il fut, créer repose aussi sur un travail d'érudition, une archéologie du savoir sans lesquels l’œuvre ne disposerait d'aucune assise. Ainsi ne copie-t-il pas les grands maîtres mais il les met en question par un brutal face à face et absorbe leur substance en traduisant les images du Titien, de Poussin ou de Rembrandt dans la seule vérité de la matière picturale. C'est ainsi qu'il n'hésite pas, non seulement à citer nombre d'artistes classiques, mais aussi à leur emprunter les sujets traditionnels tels que les nus, le paysage, le portrait ou la nature morte.
Eugène Leroy ne cesse de recouvrir l'image par de nouvelles épaisseurs jusqu'au point d'atteindre ce point de béance entre sa disparition et l'apparition d'une matière fossile qui renverrait au point aveugle de toute peinture. Recouvrir encore et encore, comme le fit Opalka dans un processus inverse d'effacement en dépouillant l'image de toute matérialité, en ajoutant quotidiennement un chiffre ou une touche de blanc sur la peinture ou la photographie pour figurer le temps. L'action de peindre devient alors une quête, un voyage initiatique à travers l'histoire et le temps comme parmi les ombres et les entrelacs d'une forêt mystérieuse. Eugène Leroy disait: «La matière n'existe pas si elle n'est pas imprégnée de lumière!»
L'exposition témoigne de ce travail acharné entre abstraction et figuration qui nous enseigne qu'il n'existe aucun art sans connaissance. Environ 150 œuvres pour 60 années de peinture illustrent ce cheminement inédit dans l'art du XXe siècle. La peau de la peinture est ici exhibée, dans sa chair comme dans sa terre, troublante, comme si elle-même avait été exhumée pour nous livrer ses derniers secrets.
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