Galerie Eva Vautier, Nice
La
vie est ainsi faite de ces éclats d'ombre et de lumière mais aussi
des éclaboussures de mots qui s'y accordent le temps d'un poème ou
d'une œuvre plastique. Joseph Dadoune filtre ces instants-là à
leur source - embryons de phrases, racines de formes et de couleurs
qui s'agrippent à d'anciennes tragédies pour raconter le temps présent
en lettres de nuit, de sang et de lumières. Il y fallait aussi
l'écho de la poésie juive et, plus précisément, le rappel d'une
pensée hybride, celle d' Hannah Arendt, pour dire ces racines qui
révèlent le passé à l'aune des drames et des espérances
d'aujourd'hui.
Les
mots sont en allemand, langue que l'artiste ne parle pas. Déjà une
distance s'établit ainsi au cœur d'une proximité poétique avec
la philosophe qui sut étirer la pensée aux limites du paradoxe, la
rendre saillante et, pour beaucoup, insupportable. De fait, ce qui
reste impardonnable sera toujours cette déchirure nietzschéenne que
la poésie insuffle à la pensée et aux formes qu'elle invoque.
Pensée scandaleuse parce que se logeant dans l'absolu de la liberté
avec pour corollaire, la totale responsabilité de chacun.
Un grand
pastel à l'huile traité avec du goudron énonce le début d'un
poème en allemand d'une poétesse juive, Else Lasker-Schüller,
qu'on peut traduire ainsi : "J'ai peur de la terre
noire. Comment puis-je m'en aller ?" Cette question résonne
comme la fragilité de l'angoisse face à l'orgueil d'un Bismark qui
plastronnait « Wir Deutche fûrchten Gott, aber sonst nichts in
der Welt » (Nous allemands craignons Dieu, mais rien d'autre au
monde).
L’œuvre
de Joseph Dadoune est alors cette porte qui nous permet d'accéder à cet
autre territoire où l'obscurité totale se dispute à l'éclosion de
la lumière. Les pièces présentées jouent de ces conflits, de ces
enchevêtrement de fragments de poèmes et d'éclosions de formes
dans l'apparence de fleurs. Leurs couleurs chaudes et intenses sont
comme la promesse d'une espérance mais elles se heurtent à la
proximité de la nuit. Toute l'exposition repose sur cette tension
entre des réalités inconciliables. Elle se pare de tous les
procédés comme de tous les matériaux. Elle parle la vie dans sa
force glorieuse comme de ses zones d'ombre qui menacent sans cesse de
nous engloutir... Mais on y entend encore les mots d'Arendt ou de
Walter Benjamin et il y a là toute cette mélancolie du bonheur.
Elle s'exprime dans la beauté du monde que l'art nous permet de
révéler.
Du 13 mars au 28 avril 2018