lundi 5 février 2018

Exposition Patrick Moya, Galerie Port Lympia, Nice





« J'ai toujours rêvé d'être universel, par la pratique de nombreuses techniques et styles, et par la multiplication de mes avatars », écrit Patrick Moya en exergue du catalogue de l'exposition. Cette large rétrospective nous permet donc de considérer son œuvre sur plusieurs décennies. Celle-ci témoigne en effet de cette vision obsédante d'une irrémédiable dualité entre le « moi «  et l'universel, l'homme réel et ses avatars, la réalité du monde et l'imaginaire. L'art serait alors le remède pour cette tragédie fondamentale, il serait ce ciment qui unifierait d' improbables contraires et l'artiste, par l'intermédiaire de ses œuvres, régnerait sur l'utopie d'un royaume dont le merveilleux renverrait le miroir de notre réalité contaminée dans sa sinistre trivialité.
Moya c'est tout à la fois un style et un concept. Ses œuvres se distinguent par la profusion des formes qui, de l'abstraction jusqu'à une figuration teintée de baroque, s'emparent de couleurs parfois poussées jusqu'à l'outrance. Mais le concept d'une œuvre tendue vers son paroxysme l’exige et l'artiste ne cesse de pousser l'histoire de l'art dans ses retranchements, ses limites, et qu'il en explore, jovial et candide, ses manques comme ses excès. Derrière les figures empruntées au monde de l'enfance, ce n'est jamais ici un paradis qui éclot. Mais plutôt les ombres des feux d'un enfer grimaçant, peuplé d'un Pinocchio au nez menteur. Car le mensonge n'est toujours que le langage de la duplicité qui se formule ici par cette récurrence de la figure du dédoublement et du double : Ce miroir si déformé de nous-mêmes, nous peinons à le distinguer mais il est bien le marqueur obsessionnel de cette ouvre.
L'intérêt de cette exposition provient aussi d' un cheminement historique qui entraîne le visiteur dans une chronologie autobiographique où ironie et amertume se côtoient. Le monde de Moya est complexe par son ambivalence et repose sur des contraires qui ne cessent de se heurter sous couvert de douceur. La joie porte toujours ici les stigmates colorés de l'inquiétude ; l'innocence est tout aussi suspecte dans ses atours sirupeux. Et l'artiste s'amuse à nous égarer dans la prolifération d'un labyrinthe peuplé de créatures trop lointaines pour être crédibles ou pour sembler aussi humaines que nous croyons l 'être quand nous ne savons que claudiquer entre les mots, les images et le réel.
Mais telle est la règle du jeu et l'artiste lui-même n'est-il pas la représentation d'une maladresse au monde et d'une grande solitude ? Moya égocentriste ? Ne serait-ce pas plutôt une forme d'illusion que l'artiste nous renvoie ? Une distance vertigineuse s'établit entre l'ego omniprésent dans ses peintures - cet ego revendiqué de façon étymologiquement « obscène » - et les figures qui en rendent compte. Il y a ce Pinocchio, une marionnette de bois, ces moutons en peluche et cet univers de fiction d'un « meilleur des mondes » dans le virtuel informatique de Double life... Ce monde en est la parodie.
Et ce Moyaland défie les règles de notre espace quotidien tout autant qu'il dérègle notre conception du temps. Tantôt l'artiste se projette dans des imitations ironiques de la peinture ancienne, tantôt il erre dans un univers de science fiction. Tout cela est foisonnant ; l'artiste s'empare de tous les procédés pour illustrer cette complexité et ce rapport peut-être impossible qu'il entretient avec le monde. Il y faut donc certes de la peinture , mais aussi de la sculpture, des objets, de l'installation, des images 3D , de la video... Il y a là quelque chose de gargantuesque dans cette frénésie, cette démence refoulée à vouloir tout absorber, d'être en soi-même un univers entier, l'alpha et l’oméga.
Mais Patrick Moya ne se dérobe jamais et explore les limbes de la transgression.Toujours aux portes du paradis et de l'enfer. L'exposition se parcourt alors sous le signe de l' exhibition et sous les auspices d’une auto-psychanalyse caricaturale. L'artiste joue avec humour de cette déambulation faussement pathologique qui se mesure aux clichés des représentations populaires des concepts de Freud et de Lacan. Il y ajoute cette touche de perversité qui interroge les notions de norme et de normalité. Aussi cette généalogie imagée qui structure l'exposition commence-t-elle par « Le nom du père » avant de se poursuivre dans « Le stade du miroir » et de s'achever dans « Le surmoi de Moya ». Et puisque le titre de l'exposition est « Le cas Moya », rassurons-nous, ce cas-là ne sera jamais résolu ! Les indices sont trop visibles ; l'artiste installe des leurres qui ne seront qu'en définitive que des chausse-trappes pour nous égarer et nous inciter à retrouver la route. L'apparente légèreté est le voile d'un mal plus profond.
L'artiste se représente ici en ange ou en diable. Ailleurs il se dissout dans un bestiaire ou dans un univers mythologique. Ubiquité parfaite : Mais l'artiste est-il encore de ce monde ? Ou bien à l'issue d'une Odyssée de l'art, n'aurait-il pas échoué sur cet univers qu'il s'est créé ? Cette question est peut-être au cœur des préoccupations de Patrick Moya : On se crée un monde, on y est seul, on veut alors le partager. Et peut-être l'art demeure-t-il le dernier continent où l'on se console de la vie et qu'on y sème les germes du bonheur.

Michel Gathier, La Strada N°287




Jusqu'au 11 mars 2018,  Galerie Port Lympia, Nice



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