Qu'un vent mauvais les
ait emportés, ces exilés, vers des espaces aux contours indéfinis
ou bien que deux artistes aient fait le trajet inverse pour en
recueillir des fragments de récit, voici ce qui donne naissance à
une exposition elle-même « déroutante »: Non adossées
au mur, les œuvres sont entassées en vrac contre lui, à même le
sol. Ce qui les rend invisibles si on ne fait l'effort de s'en
emparer. Mais ce projet reposant sur l'idée de déplacement répond
à la trajectoire des artistes. Celle-ci s'est réalisée à travers
un voyage dans un contexte marocain jusqu’à l'enclave espagnole de
Ceuta, porte d'un supposé paradis. La restitution du projet se
réalise par la récolte de documents, photos, cartes, textes, vidéos
qui tissent la trame d'un récit transitoire à l'image de ceux qui
l'expérimentent.
L'installation s’apparente alors à un « dépôt
scénographie » selon l'expression des artistes, comme on
évoquerait un legs transitoire, une réalité passagère, avec
peut-être l'idée lointaine d'un « mandat de dépôt ».
Car en filigrane de cette odyssée chaotique, une part d'ombre se
heurte à la lumière bleue du ciel et de la mer. Elle est la matière
de cette écriture instable, parcellaire, qui restitue une histoire
où s'entrelacent des destins et les témoignages, ou plutôt les
traces personnelles de celles qui les ont récoltées.
A la fois
autobiographie et documentaire, l'exposition déjoue les codes d'une
scénographie conventionnelle. Mais surtout elle nous propose un
espace émietté pour lequel le visuel ne serait que la partie
émergée de ce qu'il faut vraiment voir. Les vues d'ensemble, les
détails se heurtent ici à cette invisibilité qui reste la part la
plus intense d'une expérience ou d'un voyage. C'est cette
invisibilité qui se pare de fragments pour énoncer les mots ou les
images d'un récit. Et les formes d'un espace qu'il nous revient de
reconstituer. Mais toujours de façon transitoire. L'errance est
infinie.
Michel Gathier, La Strada, N°289
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