dimanche 4 mars 2018

Tatiana Wolska, "Habitat potentiel pour une artiste"





Auraient-ils été directement charriés de la mer jusqu'à l’antre de la galerie de la Marine, tous ces agglomérats de bois – contreplaqué, planches , écorce, isorel, éléments de meubles ? Tous décrivent  l'usure et le hors d'usage, le dépôt hors du temps, l'échouage et l'empilage comme traces ultimes d'une catastrophe.
Mais pourtant tous ces signes s'annulent ou plutôt, s'inversent. Tous ces débris se recomposent pour désigner l’envers de ce qu'ils montrent. Ainsi cet empilage n'est pas qu'une extériorité mais bien un intérieur avec ses conduits, ses corridors, ses odeurs de bois, ses rappels organiques. De même cette organisation labyrinthique fait-elle écho à une rêverie ludique, à ce quelque chose qui tiendrait de la cabane d'enfant et de l'île déserte. Les lectures s'entremêlent, les images se brouillent, rien n'est d'équerre dans cette architecture instable : il faut se tordre pour en épouser et en éprouver la structure. Mais cette torsion-là n'est-elle pas justement celle de l'artiste quand elle veut se créer son « habitat potentiel » ?
Insouciance et gravité, liberté et étouffement, tout participe ici d'un même flux où les formes se modèlent dans des installations précaires. Fragilité mais désir d'un ventre, d'une chaleur sécurisante. Espace ouvert à tous vents mais figure de l'enfermement. Il y a aussi  bien sûr cette réalité qui se heurte à tous les rêves : le naufrage de notre monde quand il devient une décharge, une accumulation de rebuts. Et quand des êtres humains y croupissent dans des taudis et des bidonvilles.
Tatiana Wolska parvient, sans pathos et par une parfaite neutralité de ton à nous faire ressentir toutes ces dualités. Elle nous montre combien nous sommes si peu en prise avec le réel, mais combien l'imaginaire peut lui insuffler du sens. Si le rôle de l'artiste consiste à se saisir de la poésie et de la fiction pour proposer un monde meilleur, alors Tatiana Wolska aura parfaitement accompli sa tâche.

Michel Gathier, La Strada N°290



Galerie de la Marine, Nice, du 24 février au 10 juin 2018


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