Auraient-ils
été directement charriés de la mer jusqu'à l’antre de la
galerie de la Marine, tous ces agglomérats de bois – contreplaqué,
planches , écorce, isorel, éléments de meubles ? Tous
décrivent l'usure et le hors d'usage, le dépôt hors du temps,
l'échouage et l'empilage comme traces ultimes d'une catastrophe.
Mais pourtant tous ces signes s'annulent ou plutôt, s'inversent.
Tous ces débris se recomposent pour désigner l’envers de ce
qu'ils montrent. Ainsi cet empilage n'est pas qu'une extériorité mais
bien un intérieur avec ses conduits, ses corridors, ses odeurs de
bois, ses rappels organiques. De même cette organisation
labyrinthique fait-elle écho à une rêverie ludique, à ce quelque
chose qui tiendrait de la cabane d'enfant et de l'île déserte. Les
lectures s'entremêlent, les images se brouillent, rien n'est
d'équerre dans cette architecture instable : il faut se tordre
pour en épouser et en éprouver la structure. Mais cette torsion-là
n'est-elle pas justement celle de l'artiste quand elle veut se créer
son « habitat potentiel » ?
Insouciance
et gravité, liberté et étouffement, tout participe ici d'un même
flux où les formes se modèlent dans des installations précaires.
Fragilité mais désir d'un ventre, d'une chaleur sécurisante.
Espace ouvert à tous vents mais figure de l'enfermement. Il y a aussi bien
sûr cette réalité qui se heurte à tous les rêves : le
naufrage de notre monde quand il devient une décharge, une
accumulation de rebuts. Et quand des êtres humains y croupissent
dans des taudis et des bidonvilles.
Tatiana
Wolska parvient, sans pathos et par une parfaite neutralité de ton à nous
faire ressentir toutes ces dualités. Elle nous montre combien nous
sommes si peu en prise avec le réel, mais combien l'imaginaire peut lui
insuffler du sens. Si le rôle de l'artiste consiste à se saisir de
la poésie et de la fiction pour proposer un monde meilleur, alors
Tatiana Wolska aura parfaitement accompli sa tâche.
Michel Gathier, La Strada N°290
Michel Gathier, La Strada N°290
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