Fondation Maeght, Saint Paul de Vence
Du 1 juillet au 19 novembre 2017
La
peinture sera toujours l'histoire d'un regard qui met en scène
autant l'artiste lui-même que les sujets ou les personnages qu'il évoque. De ce
croisement naît un récit d'autant plus prégnant que l'artiste,
ici, se veut aussi écrivain et qu'il revendique sa passion pour
Joyce et la littérature américaine.
« J'aurais voulu être bibliothécaire » déclare Eduardo Arroyo, en jetant un regard
désabusé sur l'art d'aujourd'hui : « Il y a trop de
mauvais artistes qui ne servent strictement à rien ».
Bibliothécaire, Arroyo l'est assurément, du moins dans l'idée de cette nouvelle de Borgès « La bibliothèque de Babel »,
nouvelle que l'écrivain conclut ainsi : « Le désordre
apparent, se répétant, constituerait un ordre. Ma solitude se
console à cet élégant espoir. »
Le
regard est central dans l'oeuvre d'Arroyo. Ardent ou éteint. Yeux hallucinés ou
absents. Soleil abandonné pour l'éclat carcéral d'une simple
ampoule . Tout ici est récurrent et se développe selon un
principe sériel. Les regards espionnent, tapis dans l'ombre.
Souvent, le fond noir structure le tableau : Le visible pèse
comme une menace. L'histoire de ce regard, interdit ou volé, qui
s'accomplit dans la figure de « Suzanne et les vieillards »
ne cesse de hanter la peinture et le peintre.
Associé
au courant de la « figuration narrative » à partir des
années 60, l'artiste développe un récit sous une forme littéraire
précise qui bouscule toute linéarité. Elle rappelle les techniques
du monologue intérieur et , plus précisément, ce qu'on a nommé
le « flux de conscience » dans l'écriture, en
particulier celle de Joyce ou de Faulkner : Alternance de sauts
associatifs et dissociatifs pour décrire le point de vue cognitif
d'un personnage. C'est dans la création de cette syntaxe
particulière introduite dans la peinture que se développe l'oeuvre
d'Arroyo.
Comme
chez Joyce, on retrouvera ici les éléments obsessionnels de l'art,
de la vie et de la mort, de la religion, et de la relation à une
patrie. Arroyo est le peintre de l'Espagne et de l'exil. Ce pays, ce
« paradis des mouches » - lieu de pourrissement- ne cesse
de le hanter par son ambivalence. Le peintre le confronte à son
histoire et aux modèles étrangers qui ne cessent de l’interpeller.
Van Gogh, Rembrandt, Van Eycq, Hodler ou l'influence de Picabia. Il se
saisit des ambivalences, des éléments récurrents pour installer
une mise en scène particulière où l'homme est toujours menacé
dans son existence, exilé par la violence historique.
Davantage
que le cri d'un peintre engagé, il faut voir chez Arroyo, l'expression d'un
traumatisme dans une grammaire picturale très personnelle. Mais le
peintre ne cesse cependant de se déplacer ; il s'exerce à tous
les supports. Écrivain, mais aussi décorateur de théâtre. Parfois sculpteur,
il s'empare de la pierre comme, ailleurs, il découpe le caoutchouc.
Et toujours cet univers nocturne derrière lequel se tapissent des
ombre inquiétantes, des vêtements vides de corps, des humanités
désertes...
Arroyo
observe ce « grand combat », comme l'écrivait Henri
Michaux:
"On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde.
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret."
Observer les corps absents pour esquiver les coups.
Comprendre les règles du jeu pour entrer par effraction dans les
règles de la peinture. Et plutôt que de penser politiquement le
monde, penser celui-ci poétiquement pour dire la politique et ses
drames.