dimanche 2 juillet 2017

Eduardo Arroyo, "Dans le respect des traditions"

Fondation Maeght, Saint Paul de Vence
           Du 1 juillet au 19 novembre 2017




La peinture sera toujours l'histoire d'un regard qui met en scène autant l'artiste lui-même que les sujets ou les personnages qu'il évoque. De ce croisement naît un récit d'autant plus prégnant que l'artiste, ici, se veut aussi écrivain et qu'il revendique sa passion pour Joyce et la littérature américaine.
« J'aurais voulu être bibliothécaire » déclare Eduardo Arroyo, en jetant un regard désabusé sur l'art d'aujourd'hui : « Il y a trop de mauvais artistes qui ne servent strictement à rien ». Bibliothécaire, Arroyo l'est assurément, du moins dans l'idée de cette nouvelle de Borgès « La bibliothèque de Babel », nouvelle que l'écrivain conclut ainsi : «  Le désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir. »
Le regard est central dans l'oeuvre d'Arroyo. Ardent ou éteint. Yeux hallucinés ou absents. Soleil abandonné pour l'éclat carcéral d'une simple ampoule . Tout ici est récurrent et se développe selon un principe sériel. Les regards espionnent, tapis dans l'ombre. Souvent, le fond noir structure le tableau : Le visible pèse comme une menace. L'histoire de ce regard, interdit ou volé, qui s'accomplit dans la figure de « Suzanne et les vieillards » ne cesse de hanter la peinture et le peintre. 

Associé au courant de la « figuration narrative » à partir des années 60, l'artiste développe un récit sous une forme littéraire précise qui bouscule toute linéarité. Elle rappelle les techniques du monologue intérieur et , plus précisément, ce qu'on a nommé le « flux de conscience » dans l'écriture, en particulier celle de Joyce ou de Faulkner : Alternance de sauts associatifs et dissociatifs pour décrire le point de vue cognitif d'un personnage. C'est dans la création de cette syntaxe particulière introduite dans la peinture que se développe l'oeuvre d'Arroyo.

Comme chez Joyce, on retrouvera ici les éléments obsessionnels de l'art, de la vie et de la mort, de la religion, et de la relation à une patrie. Arroyo est le peintre de l'Espagne et de l'exil. Ce pays, ce « paradis des mouches »  - lieu de pourrissement- ne cesse de le hanter par son ambivalence. Le peintre le confronte à son histoire et aux modèles étrangers qui ne cessent de l’interpeller. Van Gogh, Rembrandt, Van Eycq, Hodler ou l'influence de Picabia. Il se saisit des ambivalences, des éléments récurrents pour installer une mise en scène particulière où l'homme est toujours menacé dans son existence, exilé par la violence historique.

 Davantage que le cri d'un peintre engagé, il faut voir chez Arroyo, l'expression d'un traumatisme dans une grammaire picturale très personnelle. Mais le peintre ne cesse cependant de se déplacer ; il s'exerce à tous les supports. Écrivain, mais aussi décorateur de théâtre. Parfois sculpteur, il s'empare de la pierre comme, ailleurs, il découpe le caoutchouc. Et toujours cet univers nocturne derrière lequel se tapissent des ombre inquiétantes, des vêtements vides de corps, des humanités désertes...


Arroyo observe ce « grand combat », comme l'écrivait Henri Michaux:

"On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
                             Et on vous regarde.
                             On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret."
                     Observer les corps absents pour esquiver les coups. Comprendre les règles du jeu pour entrer par effraction dans les règles de la peinture. Et plutôt que de penser politiquement le monde, penser celui-ci poétiquement pour dire la politique et ses drames.





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