Vincent Bioules
Que
celui-ci soit fragmentaire - c'est à dire qu'il procède de
l'arbitraire d'un découpage, qu'il soit géométrisé dans son cadre
et, surtout, qu'il relève d'une culture et de choix décisifs pour
mettre en scène des sensations dans une organisation de l'espace et
une signification qui est celle de la parole de l'artiste - tout s'expérimente ici dans l'idée de ce qui constitue un paysage. Mais, quand il
s'agit de peinture, il est certain que l'artiste définit le
concept de paysage en même temps qu'il énonce le pouvoir de la peinture et, de
cette interaction, une forme de récit se construit.
Cette
histoire là n'est pas nouvelle. Les paysages idylliques de Poussin
sont en décalage avec ceux de l'antiquité auxquels ils servent
pourtant de cadre. Le réel s’efface alors devant les contraintes
de l'allégorie ; la nature s'annule au regard de la métaphore.
Avec Corot s'ouvre une nouvelle ère, celle de la
peinture de chevalet, celle de l'artiste face à ses seules
sensations, dépouillé de toute autre forme de récit que celui de
sa captation de la lumière, du rendu de ses couleurs, de la création
d'un espace humanisé à la dimension d'un corps. Il y aura bien sûr
Cézanne et tant d'autres...
Alors
pourquoi aujourd'hui « Le paysage en question ? »
Peut-être justement parce que l'art contemporain a mis la peinture
en question. Qu'il a pu parfois, au terme d'un procès expéditif, la
qualifier de décorative, dénoncer son manque de pertinence de par
ses limites formelles et de son rapport à son histoire. A ceci on
rétorquera que la peinture n'a cessé d'évoluer en fonction, non
pas seulement du regard que les hommes portaient sur le monde, mais
plus encore par l'intensité du désir que ceux-là éprouvaient à le formuler, à le
remplir d'une signification nouvelle pour donner sens à un monde,
autrement muet, et qui,autrement, nous resterait invisible.
C'est
dire que la peinture doit se saisir de ce monde tel qu'il est
aujourd'hui. Dans son immédiateté mais aussi dans son trop plein
d'images. Le peintre, désormais, n'ignore donc rien, par exemple, de la
photographie qui propose son propre regard mais qui peut aussi être
pour lui un outil, un instrument de mesure pour appréhender ce
qu'est un paysage.
Jérémy Liron l'utilise comme on l'aurait fait autrefois d'un
carnet de croquis. Il trace à l'aide de la photo des ébauches qu'il
met en peinture pour des espaces vertigineux, rendus à leur seul vide
existentiel ; et la peinture est ici un miroir implacable sur la
beauté tragique de notre monde. Koen van den Broeck se sert
également de la photographie et de photoshop pour capter de
nouvelles perspectives au ras du sol, à des raccourcis saisissants
pour donner vie à une peinture épurée qui, au terme d' éclairs, de
formes brutes et de lumière, se limite à l'essentiel. Le paysage
ici ne saurait souffrir d'aucune anecdote ; il règne dans sa
majesté froide, dans son objectivité hors limite, hors sens. Il
définit les seuls contours possibles de l'abstraction.
Chaque
peintre s'empare de la matière picturale pour cette analyse du
paysage. En lui se joue ce va et vient émouvant, parfois nostalgique
-mais le désir toujours y procède- de la nature et d'un espace
urbain. De l'un à l'autre, oscille cette distance irrémédiable,
cette impossibilité, mais en même temps cette évidence que cet
interstice serait la figure même d'une utopie. Ce seul mot ne
serait-il pas l'horizon de tout paysage -physique ou mental -?
Ne serait-il pas toujours l'idée même de la peinture ?
Michel Gathier
Michel Gathier
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