samedi 21 septembre 2019

Cinématisse, Musée Matisse, Nice




Jusqu'au 5 janvier 2020

On sait combien la photographie perturba l'histoire de la peinture. Aussi faut-il imaginer l'impact de l'image en mouvement avec l’apparition du cinéma sur les peintres. Particulièrement mis en avant par le célèbre « Nu dans l'escalier » de Marcel Duchamp et les futuristes italiens, elle influença pourtant de nombreux artistes et cette exposition a le mérite de révéler les relations mutuelles entre Matisse et le cinéma. Comment le peintre, souvent associé à une forme de sérénité silencieuse, a-t-il donc pu, paradoxalement, reprendre certains aspects de la technique cinématographique ?
Lorsque Matisse y fait un premier séjour en 1917, Nice est une ville du cinéma grâce à ses nombreuses salles où le peintre se montre un spectateur assidu et surtout grâce aux studios de la Victorine dans lesquels il se lie d'amitié avec le directeur et quelques figurantes qui seront aussi ses modèles. Mais c'est la rencontre avec Murnau en 1930, à Tahiti, lors du tournage de « Tabou » qui marquera durablement le peintre. Dans son œuvre, les courbes des feuillages ou des vagues sont saisies dans leur transformation imperceptible, les contours sont mouvants, et Matisse excelle à extraire cette vibration sourde qui émane de la nature mais le mouvement, voire la vitesse, sont au cœur de certaines de ses compositions comme dans « Les Abeilles » de 1948 ou dans « Jazz », toutes ces peintures où il explore les potentialités rythmiques de la sérialité. Mais c'est aussi dans l’interaction des formes et des couleurs que la toile trouve son dynamisme. Un paysage « La moulade » de 1907, vibre de lumière par le seul jeu des couleurs complémentaires et de l’alliance des courbes et des stries horizontales. Ailleurs, une toile de 1917, « Le pare-brise » est traitée comme un plan cinématographique.
Pourtant si Matisse fut durablement marqué par le cinéma, en retour de nombreux réalisateurs témoignèrent de l'influence du peintre sur leur travail en particulier les cinéastes de la Nouvelle Vague, Godard, Varda, Demy, Rohmer... L'exposition se clôt sur des artistes qui ont pris en compte cette interaction du cinéma et de Matisse tels que Buraglio, Ange Leccia, Alberola... Le cinéma c'est de la lumière et Matisse put dire : « Quand je travaille, c'est du cinéma. ». La lumière de Matisse éclaire le Musée.



vendredi 20 septembre 2019

Giulia Cenci, "Mud", IAC Villeurbanne


Giulia Cenci, « Mud », IAC Villeurbanne dans le cadre de la Biennale de Lyon


L’œuvre de Giulia Cenci n'est pas sombre, elle est grise, implacablement, sans espoir d'un clair obscur et de la déchirure d'une éclaircie. Nulle douleur en elle mais seulement un monde réduit à une neutralité morte, où la notion même de paysage ne s'envisage plus, quand rien aussi ne se dévisage, ni regard, ni cœur, ni âme, ni pensée. Tandis, qu'avec plus ou moins de bonheur, aux anciennes usines FABOR, on s'interroge sur le paysage dans sa relation à l'économie, au travail et au temps, ici dans ce lieu dévolu à la jeune création internationale, rien de cela n'est désormais possible. Et c'est précisément ce contrepoint qui donne au travail de l'artiste italienne toute sa force.
Le chaos est un hors paysage, il n'appartient plus à l'espace mais seulement au déséquilibre et, lorsque, comme ici, il consent à la représentation, il ne se définit plus que par une sorte de boue grisâtre qui sature aussi bien le sol que l'air dans lequel elle se perd en tissant des formes où surgissent des rappels de vie dans des fragments de cauchemars. Un réseau informe, désossé, quand la matière n'est plus que cendre, saisit le visiteur qui tâtonne dans ce hors temps à la rencontre de ses propres fantômes.
Car les installations complexes de Giulia Cenci, de premier abord, se donnent comme un tissage d'éléments sculpturaux déconstruisant l'espace. Pourtant elles n'évoquent peut-être même pas le monde d'après mais plutôt cet univers nocturne dont chacun est chargé lorsque les cauchemars parallèles à la vie font en nous circuler ces figures hybrides et cette déconstruction de la mémoire. Les fils du vivant sont ici desséchés et ne mènent nulle part. Ne s'y adhèrent que le souvenir de matériaux industriels, de résidus organiques et toutes les poussières du monde.
En quoi donc cet univers-là est-il si fascinant, pourquoi nous trouble-t-il autant et en quoi ce néant est-il notre miroir ? Sans doute parce que l'artiste n'a pas fait le pari du vide ou de la représentation d'un désert en gestation. Au contraire, elle suggère nos remords, nos angoisses d'après. Nous nous reconnaissons dans ces débris animaux suggérées, dans leurs mutations et leur ruine, leur présence obsessionnelle et toutes les traces du vivant sculpté dans la cendre. Nous devinons alors que nous en sommes peut-être déjà l'écho.



Renée Levi, MAC Lyon, biennale de Lyon


Renée Levi, MAC Lyon

Le geste qu'elle imprime n'exprime plus rien d'autre que ce qu'est la peinture : un recouvrement. Et s'il ne s'agit que de surface, encore faut-il savoir de laquelle il s'agit et pour quel usage on la peint. Mais une surface implique aussi du volume et il faudrait à ce point en définir la visibilité. René Lévi déroule les fils de la peinture pour nous conduire de sa matrice jusqu'à son accomplissement, du corps de l'artiste jusqu'à la jouissance de la couleur. Venant de l'architecture, l'artiste s’intéresse davantage à la disposition des pièces, voire à leur ornementation qu'à la fenêtre que serait le tableau pour un dehors, un récit, une fiction.
Ici rien n'est dissimulé, rien ne se dit au-delà de la seule extase de la peinture. Elle se donne à nous dans sa nudité provocante, dans les traces de sa chorégraphie qui s'étale en all over dans l'enfilade des pièces d'une partie du MAC Lyon à l’occasion de la Biennale. On ressent d'abord le vide comme une respiration morte, puis le souffle, le jet, la vitesse du spray fluo qui diffuse sa couleur acide, l'arrachement du geste, la torsion de l'épaule quand l'épaisseur d'une couleur acrylique jaillit de la brosse. Le vide sature l'espace. La seule pensée est l’idée d'un corps et l'empreinte spirituelle qui en résulte. Comme un témoignage, un satori de la peinture.
Nous nous déplaçons dans un espace sensible, dans le souffle de la seule rythmique de la couleur. Et celui-ci nous parle t-il peut-être aussi bien que le fil narratif d'un tableau ou que le lyrisme bavard et pompeux d'une envolée lyrique dans une scène de genre. Nous sommes au cœur du sensible, dans l'ombilic des formes et des couleurs en amont de toute figuration, dans la chair même de l'abstraction.
Cette peinture dit le monde, il faut l'accueillir comme une révélation. Prendre le temps de s’immerger dans un espace sensible, de se défaire de toute intentionnalité, de se libérer de la pensée, d'éprouver les seules couleurs du silence. 



mercredi 18 septembre 2019

Pannaphan Yodmanee Biennale de Lyon


Pannaphan Yodmanee, Ancienne usine FAGOR, Biennale de Lyon jusqu'au 5 janvier 2020


Dans une Biennale volontiers pessimiste quant à l'avenir de la planète et de l'humanité, l’œuvre poétique de Pannaphan Yodmanee, imprégnée tout à la fois d'inquiétude et d'une échappée possible par le biais de la spiritualité, ouvre une éclaircie dans le gris des anciennes Usines FAGOR où se déroule l'essentiel de la Biennale de Lyon. S'inspirant des traditions de son pays natal, la Thaïlande, et un moine bouddhiste l'ayant initié à la peinture dès son enfance, son œuvre établit un pont mais aussi diffuse une interrogation entre cette Asie et l'espace occidental où elle propose un travail in situ dans cette ancienne friche industrielle des temps modernes. Car le temps demeure l'ossature d'une artiste imprégnée par le passé et les cycles karmiques – naissance, mort et renaissance.
Des installations imposantes opposent de même le macrocosme au microcosme quand, dans de profonds tuyaux de ciment, l'on circule comme dans un tunnel pour un voyage initiatique à moins qu'il s'agisse de s'y réfugier. Pourtant à l'immensité, elle oppose la richesse du microcosme et de l'intériorité. Dans ce paysage souffrant de ruines, des figures surgissent comme un rappel de l'art pariétal. Mais elles sont d'une délicatesse extrême, parfois à peine visibles, aux limites de l'effacement, parées de couleurs vives et de pigments d'or. Les peintures minérales se fondent dans la masse bétonnée. Ici un arbre s'échappe dans une trouée vers le ciel, là un nuage de ciment plane au dessus tel une menace ou, encore, une possible élévation.
L'art de Pannaphan Yodmanee est complexe, tout en opposition. Il implique la masse pesante du béton, la grâce et la légèreté des figures qu'elle y trace, la sombre intériorité où elles étincellent de couleurs. Ces conduits sont aussi des grottes, des lieux souterrains, les rappels d'un ventre et de ses mystères. Y pénétrer reste une forme d'expérience initiatique quand on y côtoie la destruction et la souffrance mais que l'on voit que sur terre ou vers le ciel, des échappées subsistent. L'art serait ici ce lien entre nous-même et ce monde inquiet qu'il désigne. Il serait une forme de salut.



mardi 17 septembre 2019

Dewar § Gicquel, "Fantasmes Mammifères".



Daniel Dewar § Grégory Gicquel, « Fantasmes Mammifères »
MAC Lyon jusqu'au 5 janvier 2020.


                       Le bois sans langue de bois.

Lauréats du prix Marcel Duchamp en 1912, les deux artistes poursuivent l’exploration d'une matière simple comme source de leur imaginaire. Cette fois-ci, au Musée d'Art Contemporain dans le cadre de la Biennale de Lyon pour une exposition « Fantasmes Mammifères ». Le bois, et avec lui sa valeur d'usage, sa fonction décorative ou utilitaire, se confronte à un univers post-pop dans lequel l’artisanat tient lieu de boussole pour une production radicalement déboussolée. Pourtant, si dans cette Biennale les œuvres présentées tiennent parfois plus du dérisoire que de la dérision, celles de Dewar § Gicquel s'attachent à pousser genres et matériaux jusqu'à leur retranchement pour les doter d'un sens qui contrarie le contexte duquel ils procédaient.
Poussées à l'extrême de l'humour, du fantasme et de la banalité, leurs créations parlent de l'obsession, de l'utilitaire, du sexe et du morbide dans le quotidien. Ameublements, bas-reliefs ou sculptures taillées dans un bois brut désignent les traces de la contamination d'une matière rongée par les vers de nos rires et de nos angoisses. Ils reflètent nos archaïsmes et rappellent notre animalité sur un mode burlesque, dans une débauche de corps démembrés, d'intestins et d'un bestiaire où la fantaisie pastorale se trouve détournée dans un « jardin des délices » contemporain quand rêves et cauchemars s'imbriquent pour transgresser le réel ou lui faire rendre gorge.
Tout ceci est précis, d'une cruauté sourde, et témoigne d'un savoir-faire impressionnant. D'une pièce à l'autre se déclinent une obscénité jubilatoire et cette aisance à se renouveler sans cesse avec ce détachement hautain qui reste la marque des grands artistes. D'aucuns, dans l'air du temps, souhaiteraient y voir un manifeste anti-spéciste et les commissaires de la Biennale ont largement cédé à cet effet de mode. La parité la plus stricte est de mise, les notions de genre, l’anthropocène et le post- humanisme sont de rigueur. Pourtant les œuvres de Dewar § Gicquel parlent le monde hors du temps présent comme le fit Jérôme Bosch. Elles parlent d'aujourd'hui en se confrontant au passé ; elles transcendent et sondent l'obscurité de l'avenir.



lundi 2 septembre 2019

Exposition ART-O-RAMA, Marseille

                                Anneke Eussen

jusqu'au 15 septembre 2019
La Friche la Belle de mai



Si le salon ART-O-RAMA est terminé, l'exposition des galeries participantes est prolongée jusqu'au 15 septembre. Ce sera l'occasion de découvrir quelques points fort de la création actuelle dont le superbe travail d'Anneke Eussen présenté parla Galerie Tatiana Pieters de Gand. L'artiste présente des œuvres issues de matériaux récupérés avec en particulier une relation très sensible et ambiguë entre le minimalisme, l'abstraction et la découpe du verre. Sculpture et peinture s'accordent ici minutieusement dans une composition subtile où le geste tend à se dissoudre dans les incidents du matériau brut.
Sur un registre tout autre, Florian Schmidt de la Galerie Philipp von Rosen à Cologne, propose une réflexion sur le recyclage des matériaux. Les œuvres jouent sur l'interstice de la peinture et de la sculpture à partir d'un concept architectural. Il en résulte des objets en deux dimensions qui émergent d'un travail antérieur et se mesurent à l'espace dans lequel ils sont exposés.
Les travaux de Jan Kiefer de la Galerie Union Pacific de Londres fouillent le concept que l'image peut soutenir quand elle parle l'inconscient des valeurs d'une civilisation. Ainsi lorsqu'il peint « pinot blanc et pinot noir », l'artiste s'intéresse aux logiques qui façonnent notre pensée et tire le fil de la représentation à partir du mythe du peintre grec Zeuxis selon lequel les raisins étaient peints avec un tel réalisme que les oiseaux venaient les picorer. Mais dans le monde contemporain ces images rappellent davantage celles de la publicité et l'artiste en joue ironiquement pour exhiber les mythologies actuelles de la classe moyenne européenne fondées sur la consommation et l'apparence du raffinement.

"La révolution permanente" Fondation Vasarely, Aix en Provence


jusqu'au 20 octobre 2019

A la notion d'artiste, Victor Vasarely opposa toujours celle de plasticien. Parce qu'il refusait la conception élitiste d'un art trop intellectuel et coupé du monde, il revendiqua un art pour tous, en mouvement, et accessible dans l'immédiateté des effets visuels. Puisant leur inspiration dans l'enseignement du Bauhaus avec une même attention portée à l'architecture, à l'environnement et à tous les aspects du vivant, l'art optique et le cinétisme tendent ainsi à rapprocher le créateur et le public. Le projet politique qui s'affirme dans le titre de l'exposition « La révolution permanente », restera au cœur des préoccupations de Vasarely et de ses compagnons de route. Le bâtiment lui- même, dont la restauration vient d’être achevée après de longues années de déshérence, témoigne de cette volonté d'inscrire l’architecture, les formes et les couleurs dans un paysage et de le relier à l'humain : le « centre architectonique du bonheur » tel que l'appelait Vasarely, retrouve tout son éclat et se remet en mouvement. L'exposition s'appuie sur un prêt d'une quinzaine d’œuvres du Centre Pompidou et révèle une grande diversité d'approches.
Si une peinture de Wojciech Fangor, maître du flou et de l'abstraction polonaise, fascine par l'intensité de la couleur, une sculpture de Nicolas Schöffer réagit d'elle-même à son environnement. D'autre œuvres, celles de Xavier Veilhan ou de Philippe Decrauzat, sont en lien avec le cinéma, ses effets spectaculaires et la puissance des réactions qu'il exerce sur le public. Parce qu'il est un art populaire, comme le rock qui repose sur le rythme, le mouvement et la force de l'immédiat. Dans les œuvres de Carlos Cruz Diez et de Soto, c'est le déplacement du spectateur qui fera agir l’œuvre, par la modification des formes et des couleurs qu'il implique, transgressant ainsi la hiérarchie traditionnelle entre l'artiste et son public. A chaque fois le projet révolutionnaire s'impose au cœur d' une pratique où l'idée de mouvement reste centrale. Une œuvre de Giovanni Anceschi témoigne du déplacement de la couleur sur l'illusion d'une toile quand de l'huile de moteur colorée coule de façon aléatoire dans un cadre mobile en plexiglas. Tout repose ici sur l'illusion, les jeux qu'elle induit et les réactions instinctives qu'elle suscite. L'exposition est variée, vivante et complète superbement les toiles monumentales de Vasarely que la Fondation abrite.

Rhum Perrier Citron Menthe, La Friche Belle de mai, Marseille


Jusqu'au 29 septembre 2019

A la Friche La Belle de Mai est présenté « Rhum Perrier Menthe Citron », une exposition-performance qui s'amuse de l'idée de cocktail tout en réitérant la question de l'hospitalité et pour Marseille, ville portuaire, l'idée de « jeter l'ancre » . Une proposition de l'artiste Julien Creuzet malicieusement mise en forme et en désordre par d'autres artistes selon plusieurs épisodes.
 Pour la première station de ce paysage modulable, « Before the rocks » Flora Moscovici intervint modestement sur l'architecture du lieu avec sa forêt de colonnes et son espace ouvert en le recouvrant d'une pellicule de couleur citron. Ce geste abstrait sert de préambule à « Mélange doré » où Jagna Ciuhta introduit des éléments qui structurent l'espace tout en étant susceptibles d'être transformés par la suite. « Shaker and shooters » marque une phase participative de ce projet puisque des artistes, performeurs et musiciens sont conviés à y intervenir et à y laisser leurs traces jusqu'à sa fin, « la part des anges ».
Expérimentation, échange et immersion de l'art dans la vie sont les maîtres mots de cette errance drolatique dans un cocktail bien chargé !




samedi 27 juillet 2019

Claude Lévêque, "Human fly"


La mémoire se heurte à la réalité contemporaine et aux mythologies qu'elle suscite. Cela suffit à rendre provocante l'oeuvre de Claude Lévêque.  D'autant plus que ses installations procèdent par de déroutants détours qui contrastent avec l'extrême simplicité de son propos. Ainsi « Human Fly » fait-il référence au souvenir d'une musique des Cramps - un rappel de la culture punk dont l'artiste est issu, mais aussi à la mouche qui, avec son système de vision diffracté, impose un autre regard. Un autre détour donc, une autre plongée vers l'enfance. Et aussi une fausse entrée dans l’œuvre attendue quand l'affiche de l'exposition reprend l'image d'un manège avec ses avions naïfs dans les couleurs d'un temps passé.
Comme toujours, la simplicité de la démarche et des matériaux - objets, sons et lumières – se confronte à la démesure de l'effet produit. Dans l’ancienne base sous-marine de Saint Nazaire, Claude Lévêque réactive ce champ de mémoire par l'intensité du choc perceptif. Nulle narration n'émergera de cette tension permanente entre un lieu souterrain et clos, sa masse de béton brut et le rappel du chaos des bombardements dont elle fut l'objet. Seul importe l'effet provoqué chez le spectateur qui, à son insu, réactualise le désordre sensoriel de ceux qui le subirent.
Claude Lévêque, une fois de plus, s'attache à cette distorsion qui s'opère entre un lieu, sa fonction, son architecture et l'événement qu'il crée, non pour pour signifier ou restituer une mémoire mais plutôt pour briser le carcan de l'espace et du temps dans lequel tout récit se construit. Ce qu'il poursuit c'est l'éphémère, le choc du présent, le déséquilibre et la perte des repères sensoriels à l'assaut de la subjectivité jusqu'au risque de la perte de sens.
 Ainsi cet environnement n'est-il constitué que de structures de tiges en inox qui réfléchissent le flash des projecteurs dans une nuit parsemée d'éclairs. Les sonorités assourdissantes et métalliques déchirent l'espace jusqu'à l'insupportable. Plaisir et révulsion s'entremêlent pour une expérience où l'abstraction est poussée jusqu'à l'explosion qui structure notre conscience dans un linéament de fulgurations pour d'autres possibles. Nous voici soumis à une expérience dont nous devenons les seuls maîtres. Claude Lévêque nous dit : « Seul l'art propose des visions, le reste, le spectacle de la politique médiatique, ne fait pas rêver. Seules les poches de résistance sont essentielles. »

LIFE, Base des sous-marins, Saint-Nazaire                             Jusqu'au 29 septembre 2019




vendredi 26 juillet 2019

Claire Tabouret, "If only the sea could sleep"



Si seulement la mer pouvait dormir... A cette rêverie interrompue, Claire Tabouret donne forme et mouvement, hisse avec force les voiles de sa peinture dans l'ancien hangar à bananes dans le port de Nantes. Une histoire de voyage et d'immobilité. Ou même d'exil, peut-être, quand on sait le mépris que certaines institutions en France réservent à la peinture... De l'autre côté de l'Atlantique donc, Claire Tabouret nous renvoie des œuvres fortes, d'une poésie grave aux couleurs intenses et parfois douloureuses – peintures, dessins ou sculptures de plâtre, tous marqués par la présence des corps mais aussi de leur solitude ou de leur absence au monde.
L'espace est traversé d'immenses voiles que l'artiste découpe et reconstruit. Sur leur quasi transparence, elle peint la convulsion ou la rigidité des corps réduits à des traces, à des empreintes comme si cette mer était aussi un champ labouré, livré à tous les ressacs des drames ou des rêves de l'humanité. On devine qu'il y eut de la vie, de l'amour, de l'effusion mais on n'en perçoit plus qu'un écho desséché, on n'en voit désormais que l'ossature. Claire Tabouret peint les êtres à l'instant d'un nerf primitif, avant tout récit, toute psychologie. Ils sont les fantômes qui nous percent et nous interrogent sur ce que nous sommes. Les couleurs ne sont plus captés dans le règne de la nature mais, acides, elles surgissent d’un autre monde où des voix assourdies nous susurrent des vérités enfouies, le rêve ou la possibilité d'un ailleurs auquel la peinture nous permettrait d'accéder.
Les silhouettes hantent l'espace, elles ondulent dans le souffle d'un air marin dont nous subissons la mystérieuse pesanteur. Les voiles se gonflent de ces empreintes humaines et terreuses tandis que, sur les murs, acrylique et encres diffusent l'étrangeté de leur halo lumineux. Emprunté a un poème d'Adonis, « If only the sea could sleep » est une superbe méditation sur l'horizon des corps ou leur extinction, sur la déferlante des sentiments ou de leur ossification, sur la poésie elle-même quand l'art parvient à lui donner forme comme une musique parlerait le silence. Claire Tabouret dit : « Je peins ce que je ne vois pas ». L'art est alors ce point aveugle que la peinture révèle.

HAB Galerie, Quai des Antilles, Nantes
Jusqu'au 15 septembre 2019