Villa Arson, Nice
Dans un échange épistolaire de 1927, Romain Rolland et Freud évoquent ce qu’ils appellent le sentiment océanique, c’est à dire la sensation de se ressentir en fusion avec l’univers. Dans une forme de panthéisme moderne, «Devenir océan» semble une exposition en écho avec celle qui s’était tenue il y a peu de temps sous la houlette d’Hélène Guenin au MAMAC de Nice, «Devenir fleur». Il existe en effet aujourd’hui dans le sillage d’une philosophie holistique, une spiritualité de l’art qui tant à se confondre avec la conscience écologique. Aujourd’hui commissaire de l’exposition à la Villa Arson en partenariat avec la Fondation Tara Ocean et TBA21 Thyssen-Bornemisa Art contemporay, Hélène Guenin a sélectionné une vingtaine d’artistes internationaux qui, au-delà des seules inquiétudes environnementales, proposent ce que le sous-titre énonce: «Une conversation sociale à propos de l’océan», de manière à redéfinir nos liens avec lui. Bilans et perspectives s’échangent donc ici à travers films, installations ou photographies comme autant d’arguments pour une osmose entre la culture, l’art et l’urgence écologique.
Au chevet des océans, les artistes désormais se pressent autour des scientifiques pour imaginer l’avenir et au-delà des phénomènes naturels, construire une éthique en relation avec la réalité d’une vie océanique qui peut aussi s’énoncer à travers le filtre de l’imaginaire et de la créativité. C’est sous le signe de la mémoire ancestrale et des traditions spirituelles africaines que s’ouvre l’exposition avec une installation de Courtney Desiree Morris qui serait «Un autel Orisha dédié à Yamaya», laquelle serait la mère de tous les Orishas et dont l’Océan serait le corps et le royaume. Quant à Janaïna Tschäpe, elle présente des photos avec de fugaces figures drapées dans de lourdes étoffes plongées dans des eaux profondes comme une menace de disparition. Les photos d’Amin Linke dénoncent l’exploitation des ressources des fonds marins et montrent comment la vie sur la planète dépend d’une hydrosphère toujours plus fragilisée.
Les artistes choisis expriment chacun à leur manière une vision militante entre le documentaire, les sciences et la géopolitique. On ne parle ici ni d’esthétique, ni de recherche sur la forme, ni de beauté mais le parcours artistique se lit plutôt comme un essai en images pour illustrer les malheurs de l’océan. Souvent énigmatiques du fait de l’interaction des discours ethniques, mystiques, rationnels et engagés, les œuvres fonctionnent comme autant de chapitres pour une lecture ouverte quand l’usage de tel matériau évoque tel symbole ou qu’une installation renvoie aux rituels d’une civilisation ancienne ou d’une peuplade lointaine. Pourtant l’ensemble fonctionne d’une manière symphonique avec des répétitions, des accélérations de rythme et des pauses silencieuses si bien qu’on est vite emporté par la curiosité qui nous pousse toujours à élucider le message en retrait de l’œuvre. Et le monde du silence nous implore de l’écouter quand les artistes relatent ses palpitations et son cri.