dimanche 13 avril 2025

Karina Bisch, «La tête dans le décor»

 


Musée National Fernand Léger, Biot

Jusqu’au 10 novembre 2025



L’accidentel est la norme. Ainsi Karina Bish travaille-t-elle au cœur de cette antiphrase et s’amuse-t-elle de toutes ces conventions d’un art drapé dans la certitude d’un idéal, auréolé de beauté et coupé du monde. Alors voici qu’elle fait une embardée, qu’elle se plante et se retrouve «la tête dans le décor»!

Et cette tête bien ronde, presque lunaire en guise d’autoportrait, la voici qui d’emblée, à l’entrée de l’exposition, se morcelle en fragments de fresques et en multiples éclats comme rappels du répertoire graphique de Fernand Léger. Rencontre fortuite puisque le hasard est par essence accidentel et que la collision détruit en même temps qu’elle construit du nouveau et implique un autre regard. Karina Bisch s’amuse donc avec «légèreté», virevolte autour du peintre, le titille avec maintes fleurs et papillons stylisés comme pour réactualiser avec humour l’œuvre du Maître. Autoportrait mais aussi autodérision. Car l’artiste ne cesse de jouer entre des citation du vocabulaire de Léger et son aspiration à décloisonner les arts, l’architecture, l’artisanat, la tapisserie, la mosaïque, le textile… Rendre hommage à Léger c’est le passer à la moulinette de ses utopies et de son système, laver plus blanc que blanc et faire plus Léger que Léger.

Aussi Karina Bisch se penche-t-elle sur l’héritage des avant-gardes modernes du XXe siècle. Elle se mesure à la monumentalité, à l’aplat des couleurs vives et contrastées, au cerne du dessin et à la géométrisation de la figure. Mais tout vole en éclats, les nuages se cognent à des aspérités et sur le béton poussent des fleurs numérisées. Le souvenir de Léger s’imprime alors sur un patchwork truculent sur lequel s’agencent le désordre des signes iconiques de tel ou tel peintre, des motifs géométriques, le souvenir des arts «premiers» ou, plus simplement, la trace ou la trame du quotidien. L’artiste s’autorise tout; elle accorde d’ailleurs à la peinture la même autorité quand elle s’en habille ou en fait un parapluie. L’art est total, il déborde de partout, s’empare des murs entre ébauche et perfection, hésitation et certitude. Karina Bisch pratique l’art dans l’esprit d’une performance qui, ici, nous apprend à lire autrement l’œuvre de Fernand Léger.

Cette exposition répond à cet autre volet, «Léger peintre de la couleur». Celui-ci écrivait: «La couleur est une nécessité vitale (...) Elle devient un besoin social et humain». Ainsi l’art et la vie se conjuguent-ils autant qu’ils se percutent. Et dans les premières œuvres de Léger on découvre une superbe approche impressionniste dans une tonalité inédite ainsi qu’une façon très cézanienne de déterminer la couleur en fonction du trait. L’intervention de Karina Bisch accentue cette autre lecture du travail de Léger et l’ouvre à d’autres perspectives. Elle dit: «Aux échecs comme en peinture, la diagonale est la pente du risque et de la déraison. Et c’est bien dans cette aventure oblique que je veux entraîner la peinture.»




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