lundi 9 juin 2025

Jeanne Susplugas, «All insomniacs please raise your right hand»

 

Jeanne Susplugas, «All insomniacs please raise your right hand»

Galerie Eva Vautier, Nice



Raconter une histoire, toujours la même, de façon obsessionnelle mais toujours dans l’exploration d’un réseau d’images pour amplifier l’écho de ce qui se trame dans leur banalité. C’est à cette activité que se livre depuis de longues années, Jeanne Susplugas née en 1974. Elle la raconte à travers une pluralité de dispositifs visuels qui développent un même paradigme avec pour point de départ la pensée, donc le cerveau, la cage, la maison, l’enfermement, etc. Et ce fil narratif au gré des expositions se tisse ou se défait d’un médium à l’autre, objets, dessins, film ou réalité augmentée. De la même manière, dans ce système d’emboîtement, le négatif peut se transformer en positif, le confort devient inconfortable, la sécurité peut être menaçante et ces retournements nous enferment dans un univers dysfonctionnel.

C’est dans le quotidien que l’artiste puise les objets de cet enfermement qui serait pour elle la métaphore de la vie. L’absurde s’écrit ici avec les armes de la dérision et Jeanne Suspluglas multiplie ses interventions entre FRAC, Palais de Tokyo, et autres institutions contemporaines. Elle parle de l’individu dépossédé de lui-même, de l’empilement d’objets qui s’en empare, de sa dépendance à la consommation et tout son vocabulaire de formes surgit de cette relation à autrui entre désir et solitude. Aujourd’hui elle est à Nice chez Eva Vautier pour égrener son mantra triste à moins que celui-ci ne recèle les germes d’une révolte. Ici elle dessine les fils d’un labyrinthe sur lequel s’incrustent les signes iconiques de l’aliénation, circuit neuronique ou entrelacs d’objets ou de sculptures dans le blanc glacial d’une natures morte.

«Je dormirai quand je serai morte», proclame-t-elle. «Insomniaques, levez tous votre main droite» ordonne-t-elle en anglais devenu langue de l’indifférence. Avec parfois un humour grinçant, dans un empilement d’images qui se cognent à leur banalité, l’artiste matérialise la pensée par le dessin ou la réalité virtuelle. Tout ne serait qu’addiction, phobies et Jeanne Susplugas ausculte ainsi le dérisoire d’un monde sans âme. Le corps est un espace cadenassé et l’artiste qui écrivit «Hypocondriaque» l’associe à une prison dont on ne s’échappe que par drogues et médicaments. Peut-être l’art est-il une thérapie pour s’extraire de cet asservissement. En tout cas cet univers se traduit ici dans sa terrible cohérence et les images sont percutantes. Parfaite maîtrise du dessin dans l’expression du trouble et inventivité dans l’idée même de la répétition font de cette œuvre une expérience obsédante qui s’imprime en nous dans son apparente simplicité. Explorant les frontières, raison et folie, art et vie, réel et imaginaire, Jeanne Susplugas nous entraîne dans un monde vertigineux et nous le donne à voir en nous demandant s’il ne réside pas en nous-mêmes.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire