Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris
Jusqu’au 11 septembre 2023
Avant l’orage, le rêve d’une surface étale et muette, d’un monde amniotique, sans ligne ni couleur, avant que la vie ne la déchire et la défigure. Ou bien le souffle d’un cauchemar qui le préfigure non par le feu du ciel mais du seul geste de notre déraison que l’artiste tel un chaman pourrait conjurer par la magie de ses créations.
Dans la vaste rotonde de la Bourse de Commerce, se déploie un amoncellement de charpentes de bois et de troncs de chênes foudroyés semblant s’agripper à un ciel qui se dérobe. L’installation de Danh Vo, pensée comme une serre, devient la colonne dorsale d’une architecture sur laquelle adhèrent objets et images voués à un nouveau destin. Ce sont ceux-là qui vont donner corps à cette vertigineuse exposition sur la coursive du rez-de-chaussée et dans l’ensemble des galeries.
En prélude à l’état de la planète, autant retourner à ce rêve originel d’un Eden lumineux. Il y a d’abord l’extraordinaire ensemble de toiles de Cy Twombly comme autant de digressions autour d’un voyage sur les eaux du Dieu Soleil. Ici la peinture absorbe sueur et sang dans une brume solaire. Mots et formes se diluent dans des vagues de couleurs d’où émergent des épaves de phrases pour une mélopée dans l’intuition d’une catastrophe.
D’une galerie à l’autre, une vingtaine d’artistes tissent un récit pré-apocalyptique ou prémonitoire, tout en nuages, en éclairs ou en ténèbres. Là où les frontières se dissolvent entre l’humain et le végétal, les éléments se plient aux forces de l’artificiel et il revient aux artistes d’interpréter le chaos autant que d’imaginer d’autres écosystèmes. Vestales ou filles du feu, les femmes de Judy Chicago, dans une vidéo, percent la nuit de leurs torches lumineuses pour la célébration d’un combat tandis que la végétation n’est plus que fumée. Quant au paysage, il se dissout dans la mémoire et Lucas Arruda en restitue la beauté dans son tremblement onirique, l’or d’un soir, les palmes caressant un ciel confondu à la terre. Chaque œuvre introduit cette idée d’une beauté fragile et pourtant, en filigrane, se diffuse l’espoir que la poésie sauvera le monde. Car de cette errance circulaire dans la Bourse de commerce, il y a les feuillages et les fleurs, l’eau et les nuages, tous ces brins de nature qui irriguent l’univers. Et l’obstination du regard de l’Homme. Peut-on croire en l’orage?