Musée
National Pablo Picasso, Vallauris
Jusqu'au
17 octobre 2022
Un lieu n'est jamais anodin dans sa relation à l’œuvre. Le Musée est ici cette chapelle médiévale que Picasso orna des murs jusqu'au plafond et ce temple de «La guerre et la paix» se para pourtant des atours d'une caverne dans l'écho de tous les mythes qui s'y rattachent. C'est dans le prolongement de cet espace vibrant de sa charge primitive d'une humanité déchirée entre l'horreur, la bestialité et la lumière de l'espoir que Mark Dion installe un décor en parfait contrepoint de la composition de Picasso.
L'artiste américain ne traduit rien de ce qu'une telle œuvre peut exprimer. Il l'aborde dans une parfaite distance et par cette froide neutralité que la science exige. En apparence, il ne parle ni d'art ni de rien. Mais montrer désigne toujours un enjeu et c'est alors l'art qui s'en empare, comme par effraction. L'art introduit cet écart qui trouble les frontières du vrai et du faux, du réel et de l'imaginaire. Mark Dion en feignant une approche maniaque de reconstitution historique et scientifique piège ce qu'elle est censée nous révéler.
L'installation fait référence à trois naturalistes victoriens qui, lors d'une expédition en Amérique du Sud, collectèrent végétaux, animaux et autres spécimens biologiques. L'accumulation d'objets, dans un joyeux bric-à-brac, contient sa part de dérision et met en porte à faux le propos scientifique et son exigence de rigueur. Le mot bric-à-brac est d'ailleurs d'origine victorienne pour désigner des cabinets de curiosité. Et la réalité visible ne contient-elle pas sa part de fiction? Et voici que Mark Dion réinterprète alors la caverne platonicienne en mimant le grand spectacle, le monde des aventuriers et des trésors perdus. Et la caverne philosophique se transforme en celle d'Ali Baba.
Avec humour et dans une parfaite maîtrise de la mise en scène, l'artiste exhibe tous les objets d'époque destinés à piéger le réel, à le classifier et à le mettre en fiches. Mais l’artiste lui-même n'est-il pas aussi cet explorateur naïf qui se bute à la seule réalité des choses? Art et sciences se croisent et se dissolvent dans une même incertitude. Mark Dion désigne tous les poncifs de la représentation, l'irréalité des images collectives, les méandres de la nature et de la culture. Passé et avenir s'interpellent ici dans une mimesis burlesque. Tout dans cette exposition repose alors sur du sable. Comme dans la magie du regard enfantin toujours dans son espérance à élucider le monde. Tout n'est ici qu'un amas ocre et terre brûlée. Ne pas considérer la puissance silencieuse de cette installation serait l'ultime piège que nous tend l'artiste.