MAMAC, Nice
Jusqu'au 27 mars 2022
Pour nombre d'artistes, l'art s'apparente à une scène sur laquelle la créativité s'exerce sans toujours se coaguler dans la seule production d'une œuvre. Le dadaïsme, puis Fluxus, ont été ces instants où le rideau de la Toile de Maître s'est déchiré, s'ouvrant sur l'absurde, la vie mise à nu ou, pour reprendre le titre de l'exposition du MAMAC, « le Théâtre des objets de Daniel Spoerri». En effet cet artiste est bien ce funambule qui, sur ses 91 ans, progresse sur le fil d'une histoire où le tragique et la seule grandeur de l'humanité l'emportent sur les chimères de la gloire. Très jeune, à la suite du meurtre de son père dans un pogrom anti-juif en Roumanie, il se réfugie en Suisse, se découvre danseur, homme de théâtre, magicien des mots dans une poésie concrète. La vie sera cette scène-là, dans cette relation avec autrui et la présence éphémère des choses. Non plus la Grande Histoire mais la seule humilité de l'anecdote et du quotidien.
En 1960, Daniel Spoerri renverse littéralement la table. Plutôt que de représenter le monde à la verticale sur la toile, il colle les objets les plus triviaux sur un support qui fait office de tableau. Cette année-là, il signe au domicile d'Yves Klein le manifeste des « Nouveaux Réalistes » en compagnie d'Arman, de Tinguely et de ces quelques artistes qui, dans l'après guerre, observent la reconstruction d'un pays sous le signe de la consommation. Pour Spoerri, l'accumulation des objets ne suffit pas à désigner ce monde-là et le parcours proposé par le MAMAC retrace une histoire marquée par la toute puissance de l'insignifiance, de l'anecdote, de la marginalité et de l'éphémère. Ses « tableaux-pièges » s'inspirent de la rue, des déchets, des outils délaissés et tout ce qu'on trouvait alors au marché aux puces. L'artiste bricole et colle, sans plus. Le hasard tient la force d'un destin. L'art est pauvre comme le témoigne cette « Réplique de la chambre 13 de l' Hôtel de Carcassonne » dont le Musée vient de faire l'acquisition. Mais il y a le partage, la convivialité et, parmi les quelques 300 œuvres et documents exposés, les événements culinaires les plus outranciers sont réalisés collectivement et occupent une place centrale dans l’œuvre de l'artiste. En 1970, le banquet de l' « Ultima Cena » marque le dernier festival du Nouveau Réalisme.
Si l'instant est privilégié sur la durée, il n’empêche que la pétrification des objets implique une mémoire. De même que les mots absorbent les choses quand Spoerri les détourne pour des jeux où la farce, le rire et la dérision s’imprègnent d'une authentique passion pour la vie populaire. C'est sur cette notion de mémoire que l'exposition se termine. Daniel Spoerri inventorie et collectionne. Mais là encore, dans ces faux musées que sont les « cabinets de curiosités », tout ne serait-il pas que mystification ? Dans la « Pharmacie bretonne », un étalage de cent-dix-sept flacons d' eaux de sources sacrées se livre comme une encyclopédie du dérisoire. Et Spoerri déclare : « Nous voilà, tous des fétiches pris au piège de l'objet. »