Fondation Pinault
Punta della Dogana, Venise
Jusqu'au 9 janvier 2022
S'il fallait définir ce qu'est l'art contemporain, sans doute l’œuvre de Bruce Nauman nous permettrait au moins d'en saisir les enjeux tant cet artiste américain né en 1941 a su s'affranchir des mouvements et des courants artistiques pour privilégier le processus, la performance et son impact sur le public sans jamais privilégier l'effet esthétique. Autant dire que l'artiste est inclassable, en marge des mouvements conceptuels ou minimaux et tenant un discours autre que celui de l'art corporel quand il assimile la présence du corps à sa fonction mécanique à l'intérieur d' un corpus socialisé.
L'exposition présentée par la Fondation Pinault à la Pointe de la Douane à Venise met en scène une série de pièces anciennes qui contextualisent des œuvres plus récentes toutes en relation avec le « contrapposto ». Le corps est donc bien cette matrice fondamentale que l'artiste explore, désarticule ou reconstruit à travers des vidéos, films, hologrammes et technologie 3D. Dans ces « études de contrapposto », Bruce Nauman s'empare des fondements de la sculpture classique puisque le contrapposto c'est bien cet effet de déhanchement, cet équilibre précaire et factice qui s'opère en particulier dans le maniérisme quand le poids du corps repose sur une seule jambe pour accentuer le mouvement de l'épaule. A ce corps morcelé répond la fragmentation du langage que l'artiste explore le plus souvent à travers des expérimentations sonores. Mais le langage s'élabore ici par le biais de la rhétorique classique. Contrapposto, oxymore ou chiasmes sont autant de figures de style qui mettent alors en jeu la contradiction, l'ellipse, l'espacement, l'équilibre, l'harmonie et tout l'appareil illusionniste.
Dans ses productions, Bruce Nauman dévoile les artifices de toutes ces conventions qui nous façonnent. Montaigne écrivait : « Je ne peins pas l'être, je peins le passage ».(Essais, III,2) Ainsi aurait pu prétendre Nauman quand par l'impossibilité de peindre ou de sculpter le mouvement dans sa réalité, il nous montre avec humour que tout cela n'est qu'affaire d'une grammaire et d'un code qui nous gouverne. Les dispositifs visuels se déploient dans l'espace avec des montages vidéos et 3D se rattachant au corps de l'artiste, à son lieu de travail, l'atelier, et à la bande son créée par l'image. La gestuelle répétitive du corps est maltraitée par le montage qui réduit l'humain à un pantin désarticulé. Dans son environnement nocturne, l'humour est grinçant, la farce est sombre mais la leçon est faite.