jeudi 6 juin 2024

Miquel Barcelo Océanographe

 

Villa Paloma, Nouveau Musée National de Monaco

Du 7 juin au 13 octobre 2024



Il faut imaginer la terre comme une île battue par les tempêtes de l’univers. Et pour en restituer l’image, en extraire la matérialité avec ses vagues d’aspérités ou de fluidité, Miquel Barcelo, parce que peintre, est aussi cet explorateur du vivant et un voyageur ancré dans son île de Majorque mais toujours en mouvement, au Mali, à Paris ou ailleurs. Cette énergie, cet appétit à savourer la vie, à plonger dans l’océan comme dans la peinture, traversent cette exposition qui se présente littéralement comme une mise en scène où toiles, céramiques et documents se conjuguent pour un hymne aux forces primitives que l’art restitue.

Né en 1957, Barcelo peint depuis cinq décennies. «La mer, la mer, toujours recommencée!» écrivait Paul Valéry. En peinture aussi, elle ne cesse de déferler sur notre présent. Il aura fallu attendre Courbet et sa série de vagues tumultueuses, resserrées dans leurs cadres, pour que la mer ne soit plus seulement un décor mais qu’elle coïncide avec la puissance intrinsèque de la nature. Miguel Barcelo, à l’océan, sa flore et sa faune, y rajoute le magma de la peinture. Il en glorifie les pigments, ses formes organiques et toujours cette profondeur qui relie l’eau aux autres éléments quand le ciel se mêle aux couleurs des fonds sous-marins. Ainsi le bleu incandescent explose-t-il parmi des ocres terreux et les stries rouges des poissons rayent l’espace saisi dans l’effervescence de la matière. Grottes et stalactites nocturnes répondent à la transparence solaire des océans.

Le peintre hérite de toute cette histoire de l’art brut ou informel et de l’expressionnisme abstrait mais il lui faut toujours revenir aux sources, à l’art pariétal, aux arts premiers, à l’Antiquité… Toujours cette volonté d’interpréter le vivant, de prélever l’origine du monde dans les mouvements telluriques, les abysses et la force des éléments. Les toiles sont grandioses mais pourtant tout se terre dans l’humilité de l’artisanat quand Barcelo exécute avec sa mère des broderies ou reprend les techniques traditionnelles de la céramique. A cet effet, plusieurs pièces, parfois à la limite de l’abstraction ou, au contraire, dans une figuration exacerbée, traduisent la liberté d’une œuvre toujours en mouvement et qui ne répugne jamais à la démesure.

Peindre c’est plonger, dit-il. Et en effet il extrait des profondeurs océanes l’essence même de la vie et l’existence du réel. Car la mer c’est aussi l’activité humaine, la pêche, la nourriture et ce corps à corps que l’artiste illustre dans ses carnets. L’exposition présente ces documents comme des prélèvements de pensées et d’images en gestation et toujours dans un processus de transformation. Non sans humour, il joue avec la tradition des «Bodegones», ces natures mortes baroques et liées à l’alimentation. Ainsi passe-t-il sans transition du trivial vers une réflexion plus inquiète sur notre monde. Seul un grand artiste peut toujours de la sorte tout se permettre.



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