Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice
Jusqu’au 29 septembre 2024
Scènes d’intimité baignée d’une lumière douce, ciel vaporeux dans un espace strié de traits vigoureux et d’emblée, en découvrant l’univers de Berthe Morisot, on comprend que cette œuvre se livre sans aucune concession mais dans cette seule nécessité pour l’artiste de faire. Nulle contrainte économique pour une femme qui, issue d’un milieu aisé et ouvert aux arts, peut donner librement cours à cette volonté de peindre. Ainsi le temps long des épreuves préparatoires contredit ici la vivacité d’une peinture achevée au terme de l’ébauche et qui témoigne de cette liberté absolue qui s’octroie le luxe de la radicalité. Aussi chaque tableau relève-t-il un nouveau défi que ce soit dans l’accentuation d’une note pour contrarier l’ensemble - par exemple en mettant l’accent sur un enchevêtrement de branchages - ou, au contraire, dans l’effacement des traits du visage afin de déjouer toute interprétation psychologique. La peinture se célèbre pour elle-même, au-delà de ce qu’elle représente. La touche est enlevée, les rose et les verts tendres se nouent et se dénouent tandis que l’espace est constellé de gestes nerveux que la couleur blanche suffit à épanouir dans une respiration sourde.
Sous l’œil bienveillant de son mari, le frère d’Edouard Manet, elle peint avec ses amis impressionnistes, Monet, Degas ou Renoir, après avoir été l’élève de Corot dans un temps où les écoles d’art étaient fermées aux femmes. Berthe Morisot découvre la Riviera à l’âge de 40 ans. Avec sa famille, elle s’installe pour un premier hiver à Nice en 1881. La ville n’est alors qu’un vaste chantier et, dans cette exposition qui relate les séjours azuréens de l’artiste, on comprend au gré d’une scénographie rigoureuse, que Berthe Morisot a choisi, sans recourir à une peinture sur le motif, de recomposer des scènes réelles en les agençant selon de nouveaux rapports de formes et de couleurs. En elle-même la peinture s’affirme comme la construction d’un monde et se soustrait aux contraintes de la réalité.
Elle se détourne donc du pittoresque pour choisir des thèmes simples - scènes familiales, maisons et jardins ou images du carnaval qu’elle traduit avec fulgurance sans souci du détail. L’image, dans sa neutralité, tend à se dissoudre dans le traitement que l’artiste lui impose. Recourant aussi au pastel et à l’aquarelle, le peintre parvient à déchirer les conventions pour y insérer, sous une apparence tranquille, l’effervescence d’une matière fluide d’où l’image surgit. Des œuvres de Julie, sa fille, mais aussi de Renoir et Monet complètent ce voyage dans le temps et sur la Riviera.
Si l’exposition rend hommage à la lumière de la Côte d’Azur et à Berthe Morissot, elle permet aussi de confronter le regard de celle-ci avec celui de ces autres femmes artistes qui, à la Belle Époque, trouvent à Nice, ville cosmopolite et à son intense stimulation intellectuelle, la possibilité d’exprimer leur talent. On y retrouve les œuvres de Mary Cassat, Eva Gonzalèz, Marie Bashkirtseff et d’autres créatrices de talent pour y écrire l’histoire d’un monde moderne en pleine gestation.
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