vendredi 26 mai 2023

Eric Poitevin, «Quelques images»

 


Le Narcissio, Nice

Jusqu’au 2 septembre 2023



Éloge de la fragilité


Associer l’image à un article indéfini comme le suggérerait le titre de l’exposition, traduit déjà la prudence d’une démarche et son incertitude dans l’appropriation du réel. Comme si, à celui-ci, le photographe opposait un effet de vérité fondé sur la réflexion plutôt que sur le réflexe traditionnel du capteur d’images qui voudrait en saisir un fragment pour le charger d’une narration tout en l’esthétisant. Ces «quelques images» d’Eric Poitevin présentent un panorama d’œuvres photographiques, sans hiérarchie aucune, sur une évolution de plusieurs décennies dans une grande variété d’approches et de thèmes. Car c’est bien d’un temps long qu’il s’agit, celui d’une pensée qui se construit sur la mémoire et l’histoire de la peinture à laquelle elle se confronte avec ses principaux genres, le nu, la nature morte ou le paysage.

Dans la lenteur du travail et du silence qui l’implique, voici des photographies minutieusement composées pour dévoiler ce que l’œil ne perçoit pas. Nature et artifice coïncident alors tout en se neutralisant. L’image d’une beauté perturbante se voit dépouiller de son sujet comme si l’artiste n’avait d’autre ambition de la réduire à un objet et à sa mise en scène. Quand il s’agit de corps, ceux-ci sont traités à l’égal de masses désincarnées dans des postures inédites qui leur interdisent toute interprétation psychologique, toute tentative de récit pour les livrer à la seule nudité de l’image.

Dans une approche quasi métaphysique, Eric Poitevin parle de cette solitude des êtres et des choses qui est aussi celle de leur représentation. A l’instar des grands peintres, il cherche la nervure invisible, la membrane secrète qui se dérobe à notre regard. La photographie tient alors parfois à un fil qui lui donne sa densité, à un espace ouvert et neutre pour placer son sujet dans un autre rapport au monde que celui que nous attendions. Parfois des traits de graminées écrivent cette existence qui nous était inconnue. Ailleurs des taches sur un torse boursoufflé diffusent leur étrange beauté par les vagues de chair qui s’insinuent dans un espace déserté. Toujours ce vide qui se heurte à l’objet auquel il se confronte. Qu’il photographie un animal, un trophée de chasse ou un sous-bois, ce sera toujours cette logique impitoyable d’une perte existentielle comme si une chose égalait toujours à une chose et toujours dans le même dénuement. Mais celui-ci rayonne dans son murmure: Pouvons-nous voir le monde tel qu’il est? Loin d’un seul regard photographique, Eric Poitevin extirpe par la frontalité de ses cadrages, la peau des choses.



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