samedi 27 octobre 2018

Alain Biet, "Cocktail electro"



Très en vogue à partir du XVIe siècle, les cabinets de curiosités préfigurèrent les Musées d’histoire naturelle tels qu'ils apparurent au XVIIIe siècle. Ce siècle qui fut celui de l'Encyclopédie et qui inaugura de nouvelles conditions scientifiques et politiques . Les questions de méthode et de classification se rapportèrent alors ici essentiellement à une catégorie majeure, les « naturalia », c'est à dire ce qui se rapporte au domaine de la nature,  au détriment des « artificalia » - les choses de l'homme.

En apparence, Alain Biet, reprend à son compte cette idée de collection et d'amoncellement d'objets mais dans le sens premier de l'art  et de ces artificalia: ce qui est lié à la production humaine. Aussi détourne-t-il la manière des naturalistes ou des entomologistes pour se consacrer à une forme d'archéologie des technologies de notre temps.

 Une archéologie suppose l'effacement, la mémoire, le désir de conférer au passé une valeur d'éternité. Or Alain Biet choisit d'inscrire l'obsolescence et l'éphémère des objets contemporains comme témoignage de l'absurde. Car l'artiste parle avec distance de la vanité des choses, de leur banalité fondamentale. Il crée, avec l'élégance d'une rigueur froide et d'une manière très élaborée, un catalogue d'objets dont l'accumulation pose davantage la question de leur disparition que de leur présence ou de leur éventuelle utilité. Pourtant l'on perçoit derrière son détachement, l'ironie dadaïste dans cette obstination maniaque à fixer des images qui ne sont celles que d'une apparence de séduction.

Depuis 2004 l'artiste entreprend d'archiver systématiquement les images des objets électriques. Ce catalogue d'environ 6000 dessins répond à un  protocole très stricte d'un point de vue documentaire. Alain Biet utilise la méthode des anciens naturalistes avec un dessin à l'aquarelle, avec toujours un même angle de vision et un même point de fuite sans aucune ombre portée. De par sa banalité outrancière et la perfection de son style, le dessin se pare, paradoxalement, d'une telle solitude qu'il aspire à se charger d'un sens et à témoigner d'un manque.

. C'est ici l'image fixe d'une disparition et de l'amoncellement pour exprimer le vide. C'est l'image du temps, comme le fit autrement Opalka, avec la même obstination, la même retenue méticuleuse : jour après jour, reprendre le fardeau de l'image comme un journal de bord pour raconter l'inutile mais par le biais de cette beauté froide et étrange qui lui confère une âme. Ne nous y trompons pas, Alain Biet est un grand artiste. Dessinateur, cinéaste, musicien et clown à ses heures, il dévore le temps. Ses échantillons électriques sont des lambeaux de jours, des cailloux semés sur le bord d'une route. C'est ainsi qu'on écrit une histoire.

La Strada, N°303

La Station, Nice, du 27 octobre au 5 janvier 2019 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire