lundi 26 mars 2018

Lee Bae, "Plus de lumière"


Fondation Maeght, du 24 mars au 17 juin 2018




Avant même le dessin, il existe cette matière dont il procède à son origine. A l'aube de la préhistoire, avec le feu, voici que le charbon de bois devient la condition de cette représentation que l'homme se donne du monde. Avec lui s'élaborent le dessin puis l'écriture par lesquels la pensée se matérialise. Lee Bae s'attache à redonner forme au monde en se saisissant, à sa source, de cette matérialité d'où jaillit cette puissance mystérieuse de l'humain. Le charbon de bois sera donc l'alpha et l’oméga de sa quête. Plus que par le  pouvoir d'une métaphore ou d' une couleur, ce matériau, par sa simplicité austère, deviendra le fil conducteur qui relie l'artiste au monde et, plus précisément, à sa Corée natale, là où le charbon de bois se charge d'une symbolique particulière.

Lee Bae naît en Corée en 1956 avant de s'installer en France en 1990. Pour lui, l’œuvre doit s'inscrire dans une  relation intime avec le lieu où elle est présentée. Aussi aime-t-il comparer les pins qui scandent les contours de la Fondation Maeght à ceux qui entouraient la maison de son enfance. L'arbre, mort ou vivant, est ici au cœur de sa réflexion. De même perçoit-il certains éléments architecturaux de la Fondation, avec sa sérénité, sa lumière, comme un rappel de l'espace des monastères coréens. Le charbon de bois est la trace ultime de la combustion de l'arbre. Chargé d'une valeur culturelle, il accompagne aussi le rituel du coréen quand celui-ci brûle avec les autres villageois les papiers sur lesquels il consigne ses vœux lors de la « Cérémonie de la lune brûlée ». De même offre-t-il traditionnellement une protection purificatrice à la maison.

Cependant le dessin restera le point de départ de cette relation au noir qui condense son œuvre. Il trouve d'ailleurs son origine dans le graphite qu'utilise l'artiste et ce matériau demeure le socle de toute son intervention sur le noir. Lee Bae ne considère pas celui-ci tant comme  une couleur mais plutôt comme une matière riche en potentialités. Le charbon de bois peut être plus ou moins consumé ; il peut absorber la lumière ou, au contraire, la développer dans de multiples nuances quand l'artiste en juxtapose des fragments en forme de mosaïque à partir de la seule adjonction d'un medium acrylique. Ailleurs, le charbon de bois se mesure au tronc de l'arbre ou à une nature vivante. Ou bien prend-il la forme de piquets ou d’épieux dont les pointes aiguisées rappellent celles des crayons que le dessinateur utilise, par exemple, pour une série de kakis desséchés. La richesse du matériau lui permet de jouer sur toutes les modalités de l'espace, de le dérouler sur le sol ou  d'en éprouver la densité frontale quand il s'adosse au mur.

Avec ce presque rien, cette ascèse de moyens, Lee Bae parvient à dessiner un univers d'une stupéfiante spiritualité. Alors qu'un peintre comme Soulages nous oblige au recul quand nous éprouvons les effets vibratoires de la couleur noire, Lee Bae, à l'inverse, tend à nous introduire dans cette épaisseur noire qui semble nous absorber en même temps qu'elle concentre en elle toute l'énergie de la matière. Cette œuvre n'incite pas seulement à une expérience visuelle, elle permet surtout une forme de méditation sur les forces contraires de l'univers. Elle est empreinte d’une sérénité intense pour dire avec une grande modestie toute la beauté du monde.





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