Fondation Maeght, du 24 mars au 17 juin 2018
Avant
même le dessin, il existe cette matière dont il procède à son
origine. A l'aube de la préhistoire, avec le feu, voici que le
charbon de bois devient la condition de cette représentation que
l'homme se donne du monde. Avec lui s'élaborent le dessin puis
l'écriture par lesquels la pensée se matérialise. Lee Bae
s'attache à redonner forme au monde en se saisissant, à sa source,
de cette matérialité d'où jaillit cette puissance mystérieuse de
l'humain. Le charbon de bois sera donc l'alpha et l’oméga de sa
quête. Plus que par le pouvoir d'une métaphore ou d' une couleur, ce matériau, par sa
simplicité austère, deviendra le fil conducteur qui relie l'artiste au
monde et, plus précisément, à sa Corée natale, là où le charbon
de bois se charge d'une symbolique particulière.
Lee
Bae naît en Corée en 1956 avant de s'installer en France en 1990. Pour lui, l’œuvre doit s'inscrire dans une relation intime avec le lieu où elle est présentée. Aussi aime-t-il comparer les pins qui scandent les
contours de la Fondation Maeght à ceux qui entouraient la maison de
son enfance. L'arbre, mort ou vivant, est ici au cœur de sa réflexion. De même perçoit-il certains éléments architecturaux de
la Fondation, avec sa sérénité, sa lumière, comme un rappel de
l'espace des monastères coréens. Le charbon de bois est la trace
ultime de la combustion de l'arbre. Chargé d'une valeur culturelle,
il accompagne aussi le rituel du coréen quand celui-ci brûle avec les
autres villageois les papiers sur lesquels il consigne ses vœux lors
de la « Cérémonie de la lune brûlée ». De même
offre-t-il traditionnellement une protection purificatrice à la
maison.
Cependant
le dessin restera le point de départ de cette relation au noir qui
condense son œuvre. Il trouve d'ailleurs son origine dans le
graphite qu'utilise l'artiste et ce matériau demeure le socle de
toute son intervention sur le noir. Lee Bae ne considère pas
celui-ci tant comme une couleur mais plutôt comme une matière riche en
potentialités. Le charbon de bois peut être plus ou moins consumé ;
il peut absorber la lumière ou, au contraire, la développer dans de
multiples nuances quand l'artiste en juxtapose des fragments en
forme de mosaïque à partir de la seule adjonction d'un medium
acrylique. Ailleurs, le charbon de bois se mesure au tronc de l'arbre
ou à une nature vivante. Ou bien prend-il la forme de piquets ou d’épieux dont
les pointes aiguisées rappellent celles des crayons que le
dessinateur utilise, par exemple, pour une série de kakis
desséchés. La richesse du matériau lui permet de jouer sur toutes
les modalités de l'espace, de le dérouler sur le sol ou d'en éprouver
la densité frontale quand il s'adosse au mur.
Avec ce presque rien, cette ascèse de moyens, Lee Bae parvient à
dessiner un univers d'une stupéfiante spiritualité. Alors qu'un
peintre comme Soulages nous oblige au recul quand nous éprouvons les
effets vibratoires de la couleur noire, Lee Bae, à l'inverse, tend à
nous introduire dans cette épaisseur noire qui semble nous absorber en même temps
qu'elle concentre en elle toute l'énergie de la matière. Cette œuvre
n'incite pas seulement à une expérience visuelle, elle permet surtout une forme de méditation sur les forces
contraires de l'univers. Elle est empreinte d’une sérénité
intense pour dire avec une grande modestie toute la beauté du monde.
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