dimanche 24 janvier 2016

Sylvie Fanchon (avec Jean Luc Blanc, Michel Blazy, Djamel Kokene-Dorléans)

                     Galerie Circonstance, Nice


                         L'oeuvre de Sylvie Fauchon ce n'est pas seulement cela. Mais dans sa réflexion sur la visibilité, elle prend en étau, le texte; elle le mesure à la peinture: Et si la visibilité était aussi une expérience  du lisible? 

                    Des blocs de textes à peine entamés, leurs traces broyés par la peinture : les passer à la lumière rasante du microscope, au découpage au laser, de façon froide et objective. Écraser et donner à voir  ce que furent peut-être la poésie ou toute  représentation mentale et visuelle du monde, avec ses cahots, ses continuités, ses parcelles de rationalité et de folie, ses contradictions, ses espoirs et son pathos.
                      Ce qui va se jouer c'est, paradoxalement, l'hypothèse d' une mise en relief du texte par la mise à plat d’un espace visuel. Et aussi, la protubérance des signes et de la couleur dans leur effacement, avec leur arbitraire, leur organisation logique qui n’exigent   pas tant une représentation ou ce qui résulterait d’une mémoire mais , plutôt,  proposent le reflet de ce que le monde numérique nous abandonne comme déchets échoués sur des rivages où le temps lui-même disparaît. 
                    Pour cela, nulle esthétique n’est nécessaire: la beauté est un engagement qui ici ne trouvera nulle place. Ces blocs ne supportent pas l’aération de même que,  face à  la vitesse toujours accélérée des flux qui désormais structurent nos vies, ils revendiquent la fixité, l’arrêt du regard sur un espace clos, la réflexion sur ce temps mort qu’ils illustrent  et , pour le mieux, le miroir d’une espérance à venir, espérance sans laquelle ils seraient sans objet.

                      Cette espérance a un nom, l’art. Loin de toute nostalgie, il s’agit au contraire de retrouver les conditions d’une création qui renoue avec l’élaboration d’un sens quand les régressions  prolifèrent dans le cri infantile et la pulsion primale de ce qui nous est massivement proposé comme, par exemple, dans le slam, le street art, le graffiti… 
                          Tels sont ces nouveaux leurres qui disent transformer la boue en or. L’art serait partout, pour tous, dans l’hyper marché contemporain! Il suffirait  de crier pour dire , puisque seuls l’intensité, l’inflation, le grossissement, la démesure seraient entendus! Ou bien, dans l’art contemporain, suffirait-il de se coller au présent, de problématiser, de questionner en petit valet médiatique le politique, l’écologie, l’économie, la question sexuelle et je ne sais quoi encore, pour en étrangler tous les constituants quand  on sait que tout se joue à la racine , que c’est là que l’artiste ou le poète existe , loin des images, de la doxa sociale et de ce que l’art frelaté nous propose comme fête triste, spoliation de l’intelligence, consommation encore et encore. L'art c'est de la pensée. Ce n'est pas le spectacle du monde.

                    L’écrivain sait, fut-il essayiste ou poète, ou  bien enfoui dans quelque  expérience où se débattent le style et la pensée,  que les tentations qui l’assaillent rodent dans un même champ où la régression chamanique ou libertaire se heurte, en même temps qu’il la nourrit, à la figure tutélaire d’un discours plein, sans faille, totalisant. Il sait comme l'artiste,  que le corps -physique, textuel ou tout autre corpus artistique -  se perçoit comme frontal ou dorsal, que tout se joue là, au sens mallarméen, dans le pile ou face d’un choix arbitraire et que le supposé hasard n'appartient qu'au maître qui lance les dés qu’il a lui-même fabriqués. 
                       Pourtant peut-il encore  s’illusionner sur sa pratique quand cette expérience tient à un fil sur lequel il se meut dans la transe glacée d’un vertige, là où le réel se cogne aux affres de l’imaginaire? Car là est le danger: la séduction qui, littéralement, nous méduse, à travers tout le prisme de l’écran qui renvoie de nous-mêmes l’être que nous ne sommes pas mais que nous sommes sommés de devenir. De ce qui fut une  illusion  de liberté, l’écran, l’image sont devenus notre prison dorée dans laquelle le spectateur danse avec ses paillettes devant ses nouveaux dieux. 

                       Le propos de l’œuvre de Sylvie Fanchon ne pose ni ne prétend résoudre ces questions là. Et pourtant ce travail leur donne un écho en jouant d’une bichromie aride, d’une mise à plat du texte et de l’image sans profondeur possible. L’artiste ne nomme ni ne décrit mais articule cette imbrication du texte et de l’image quand tout s’annule et se reconstruit dans une planéité nouvelle, là où le texte s’étouffe et reprend son souffle dans les interstices de la couleur. Là surgit ce qui se veut sens et qui reste condamné à l'image.
                            
                   Alors vers quel substantif faudrait-il s’accorder pour désigner ce qui serait du texte s’il faut encore qualifier de la sorte ce qui n’est qu’un ensemble de mots saisis dans leur matérialité ? De par son étymologie le texte trouve sa source dans le tissage, c’est-à-dire dans  la conjugaison de ce qui se joue entre la chaîne et la trame. Pour que le texte advienne, un développement lui est nécessaire, de la gestation d’un outil jusqu’au désir de sens qui se noue dans la texture de cette trame.

               Le texte littéraire, à l’instar d’une œuvre d’art, est empreint  d’un projet qui se dérobe à l’immédiateté du réel. Il se dérobe à lui  parce qu’il énonce son bloc sémiotique en même temps qu’il inscrit cette tentation du vide, cette formulation de la trame à travers laquelle tout se construit sur le refus d‘un sens " réaliste" . Sylvie Fauchon écrit ce texte là, visible et illisible. L'utopie du texte saisit dans la seule matérialité de la peinture.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire