mercredi 3 février 2016

Sonia Boyce, "Tiger Paper Soap Whisky Theatre"

                  Villa Arson, Nice

                            

             Nous voici dans un espace concret, physique, qui se construit au rythme de nos déambulations et de notre souffle qui font corps avec l'installation. Tout est là, dans un lieu où l’on circule de vidéos en dessins, parmi des corps représentés quand ce ne sont pas les nôtres. Un espace organique  s’élabore de cette confrontation du réel avec cet instant de l’art où le réel devient insupportable, qu’il est battu en brèche par l’anomie du sens quand  l’aventure dada, au début du XXe siècle, rencontre dans l'Amérique noire celle de l’improvisation vocale propre au jazz-scat. Choc de deux histoires de refus et de deux cultures pour des rencontres aussi improbables que fertiles, et, in fine, une oeuvre puissante.
                   Sonia Boyce parvient ici , non pas à figurer l’image d’une révolte, mais à en restituer les contours rythmiques et physiques par le détour d’une langue scandée dans l’absurdité de son minimalisme répétitif et de corps projetés dans des scénographies dérisoires mais éclatantes de vérité. Car ce qui se met en scène à cet instant, ce sont bien tous les signes d’un refus et  de l’arbitraire  d'un code quand ils interfèrent, quand ils se croisent et se rejettent pour l’aube d’une nouvelle apparence et l’espérance d’un autre sens  à naître. La notion d’engagement est alors saisie à sa source, en amont de tout message qui viendrait parasiter sa force brute.
                   L’art est ici pris à la gorge, dans son histoire, dans son rapport au monde. Il se construit dans cet espace clos, fait d’écrans de différents formats où dessins et vidéos alternent, se répondent ou se contredisent. Mais cet espace interne dans lequel nous évoluons renvoie à l’espace externe de l’architecture brutaliste de la Villa Arson qui se retrouve projeté sur l’écran  en même temps qu’il sert de décor  au  jeu de ses acteurs que sont sont les étudiants.
                   Jeu de hasard, de déchirure, de miroir brisé autant que de rencontres fortuites dans l’élaboration d’une chorégraphie décalée, drôle, qui s’empare peu à peu de l’espace dans lequel nous circulons. Celui-ci n’est plus illusionniste de même qu’il échappe à toute architecture. Tour à tour, il se rétracte, s’épaissit ou s’aère quand les vidéos nous renvoient le choc d’une absence de perspective - pour ne pas dire à une perspective inversée -  quand elles se confrontent aux séquences sérielles des dessins qui forment  la toile de fond de la salle.
                    Les corps représentés se lient et se délient dans l’étrangeté de cet espace qui s'empare de nous frontalement. Ils se meuvent dans une synesthésie stridente, se déplient physiquement, se heurtent, chaotiques,  dans les scansions mécaniques des mots à peine perceptibles et du silence soudain. Cacophonie, tension, accélération, ralentissement, extinction. Le rythme, puissant et doux, se joue à fleur de peau. Quelque chose de beau et de dérangeant s’élabore dans cette zone de conflit que devient cette mise en abyme de la performance et de sa représentation quand la mise à distance parvient, paradoxalement, à provoquer un choc physique pour celui qui s’y soumet. Une expérience qu’il faut vivre le temps de cette exposition d’une rare qualité.

                 




                                 


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