Galerie le 22, Nice. Exposition Gabriel Méo, Delphine Trouche, Quentin Spohn.
Quentin Spohn ne cesse de
surprendre. Alors qu’il nous avait habitués à d' immenses dessins dont la charge charbonneuse tendait à
étouffer l’espace, à le contracter dans l’horizontalité d’un récit toujours inachevé, le
voici qui saisit maintenant cette histoire à contre-pied.
En effet, en contradiction avec cette représentation tentée par le réel mais malmenée par le biais du burlesque et du
fantastique, l’artiste nous livre ici un regard distancé sur une pratique qu’il
poursuit néanmoins par ailleurs comme un journal de bord quotidien, avec
ses parcelles d’obsessions, d’images sociales, dont la résonance ne cesse d’envahir
celui qui s’y trouve confronté.
Ces nouvelles œuvres s'affirment comme une mise à
distance, une analyse , un regard lucide sur cette
fresque qui se développe sur la crête d'une ligne narrative qui s'écoule dans le flux d'une vie chargée d'images de coercitions, de fantasmes... Loin de l’horizontalité, de
la linéarité discursive, de l’épaisseur de la figure et de la frontalité à laquelle la pierre noire donne tout son poids, nous voici maintenant plongés dans la légèreté d’un
module dont les six pièces exaltent la transparence, la tentation de la verticalité, la finesse du
trait et les effets de l’effacement.
Nous voici aux confins de l’abstraction,
comme dans ces peintures chinoises des Montagnes Jaunes, tout en élévation et
en disparition par le jeu des brumes et des reliefs bien que saisis dans la réalité d’une
surface plane.
Les jeux du trait et du gommage nous convient à une traversée des
apparences qui met à nu la trame même du dessin. La grille d’une
composition improbable, comme le filigrane qui garantirait l'authenticité de l'oeuvre, tend à sourdre comme la promesse d’un récit qui se
cherche encore à l'instant de son balbutiement. L’artiste nous confronte à cette origine où le
dessin n’est encore qu’un creux, une hypothèse, un support sur lequel l’empreinte d’un sens se désire et se refuse tout à la fois. Ou bien Quentin Spohn veut-il exhiber l'envers du dessin, son négatif, dans la nostalgie d'un vide, d'un ailleurs, d'une utopie. Et sans doute lui faudra-t-il, tel Sisyphe, toujours et encore recommencer, arpenter l'espace, le charger de la graphie de cette pierre noire jusqu'à l'effacement, dans l'épuisement de ce qui serait figurable.
On sait que "dessin" et "dessein" sont issus d'une même étymologie, dans l'évocation d'un projet, et que ces deux mots désignent en quelque sorte les deux rives d'un même courant aux flux parfois contraires, celle de la réalisation de l'oeuvre et celle de sa construction mentale. C'est cet interstice que l'artiste nous donne à voir, une zone grise, envoûtante et dangereuse, un territoire à la mesure de nos errances et de nos soifs d'aventure.