Musée de l’Orangerie, Paris
Jusqu’au 16 janvier 203
C’est l’histoire d’une enfance détruite et d’un gamin livré à la rue et à la misère. Sam Szafran a 11 ans quand la deuxième guerre mondiale s’achève. D’origine juive polonaise, il aura vu une partie de sa famille anéantie dans les camps de concentration et le voila ballotté d’un lieu à l’autre dans un réel impossible. Ce n’est que par sa passion du dessin et la transformation de la réalité qu’il permet que Sam Szafran trouvera son salut. Rejeté par les écoles d’art, il s’obstinera pourtant dans l’ascèse des lignes, la perfection de l’aquarelle et du pastel, la création d’un autre monde. Mais quand on survit à un tel naufrage, on se contente de la réalité la plus triviale, la plus immédiate, l’atelier où l’on travaille, des escaliers et des feuillages. Dans une époque où l’abstraction triomphe, Szafran veut se mesurer à la seule réalité physique du monde.
C’est pourtant par la démesure qu’il recompose celle-ci. Par des déséquilibres vertigineux et des perspectives folles, un acharnement minutieux dans la finesse du trait et son immersion dans la couleur, voici un chaos magnifié ou un paradis perdu - un rêve éveillé au lendemain du cauchemar. Dans ce décor, rares sont les présences humaines si ce n’est parfois, une présence lointaine et silencieuse. L’espace se sature par le désordre des objets de l’atelier quand, dans le labyrinthe des jeux de miroir, sols et plafonds se dérobent et s’entrecroisent tandis que le fusain exerce sa déchirure méticuleuse et implacable du monde.
«Il faut regarder en oblique», disait-il. De cette blessure, Sam Szafran procède tel un funambule sur son fil. Il dévide celui-ci sans relâche, jusqu’à construire avec une extrême précision des réseaux inextricables pour faire surgir la possibilité d’un nouveau regard sur le monde. Telle est cette quête obstinée lorsque dans la transparence des feuillages qu’il sculpte avec délicatesse pour en extraire une lumière parcimonieuse, une respiration sourde émane de la toile. Loin d’une humanité triomphante, l’humilité du geste se noue à la démesure du monde. Si ces vastes ensembles végétaux s’apparentent à une jungle, des perles de lumière s’en échappent comme pour assurer la promesse d’une vie et conjurer ses ombres.
Peu représenté dans les musées français mais ardemment défendu par de nombreux collectionneurs, Sam Szafran, trois ans après sa mort, se voit enfin honoré d’une grandiose exposition à l’Orangerie. Ce n’est que justice.