samedi 8 octobre 2022

RONI HORN, «Sweet is the swamp with its secrets»

 


Hauser & Wirth, Monaco

Jusqu’au 17 décembre 2022



«La douceur est un marécage avec ses secrets» est ce vers traduit d’Emily Dickinson, poétesse qui vécut recluse dans sa maison du Massaschusetts. Cette vie intérieure intense est aussi celle que Roni Horn ne cesse de débusquer dans la dualité de l’intériorité et des fragments du monde les plus anodins. Autant dire qu’on ne contemple pas seulement avec les yeux l’œuvre d’une telle artiste mais plutôt avec les paupières closes et leur charge méditative. Sans doute aurait-elle pu écrire: «Regardez dix fois le même tableau mais vous ne verrez jamais le même». En effet Roni Horn met le réel en question de par sa nature changeante de même que l’œuvre d’art elle-même résulte d’un effet de perception aussi bien physique que mental qui varie selon qui la contemple.

Parler au monde comme dans un miroir est affaire de poésie. Entendre l’écho des choses exige attention et délicatesse. Et le souffle du minimalisme excelle à restituer le pouvoir de l’insignifiance sur la beauté du monde. Roni Horn se saisit de tous les médias mais toujours avec une telle humilité qu’on pourrait croire en la banalité de ce qu’elle montre. Les objets ou les photographies, installés parfois dans un parfait décalage avec l’espace de la galerie, placent le spectateur dans une relation de perplexité avec des œuvres qui jouent par paires ou par séries – portraits dénués de psychologie, oiseaux flous ou bâtons d’aluminium avec des phrases gravées. Aussi faut-il de nouveau fermer les yeux puis les rouvrir et regarder en soi-même ce temps qui a passé, ce visage qui n’est plus tout à fait le même, ce flou qui préfigure l’oubli. Roni Horn nous parle d’une réalité fugitive, des interstices entre la mémoire et le devenir. Elle est autant l’artiste du temps que de l’espace et elle nous entraîne, par la puissance de l’intime, à penser la différence et le double, le trouble sexuel ou l’interpénétration de la vie et de la mort.

En parallèle à ces œuvres, six extraits de Persona, le film que réalisa Ingmar Bergman en 1966, égrènent des notes semblables comme pour affleurer musicalement la fragilité des choses et le monde intérieur qui émerge dans le réel tel un marécage dans sa brume. Et c’est dans un noir et blanc que deux visages de femmes avec la modulation de leurs voix parlent d’une identité fluctuante, du désir entre attraction et répulsion… La poésie ne dit que cela: Ce que l’on voit, ce n’est que la peau des choses. Et le réel ne s’appréhende que par l’imaginaire. Ce qui anime le monde, c’est à l’artiste de le proclamer, d’en imaginer les secrets. Roni Horn nous en délivre des petits fragments qu’elle recueille depuis une quarantaine d’années, le plus souvent dans la nature et en Islande où elle réside parfois. Elle nous montre sous le masque de l’indifférence que tout est différent et que l’eau qui coule n’est jamais la même.



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