Musée de la Photographie, Nice
Jusqu’au 25 septembre 2022
Quand Nick Knight déclare «La meilleure image est l’expression de l’artiste», il adopte un point de vue kantien par opposition à l’idéal d’Aristote d’une imitation au plus près de la nature. Créer devient alors une affaire de distance et d’un travail de décomposition de l’objet pour le traduire dans l’ordre du sensible. Il ne s’agit donc plus de représenter mais de sublimer. Nick Knight est un explorateur de l’image. Mondialement célébré pour ses photographies de mode et ses clips de vidéo d’artistes, il se saisit de l’emblème de la rose pour faire subir à celle-ci toute une série de manipulations pour, selon ses mots, «montrer ce qui n’existe pas». Or la rose, par sa charge symbolique, sa poétique liée à l’amour et à l’éphémère de la vie, sa beauté et ses épines, se hisse vers une autre dimension que celle d’un simple objet. Métaphorique, elle est surtout assujettie à une histoire et, dans l’imaginaire collectif, elle se substitue à l’intime.
Par son travail sur l’image de la rose, Nick Knight, sur de grands formats entrouvre les portes de son jardin secret, là où à Londres, à l’écart de l’agitation des grands studios de mode, il recueille ses fleurs. Il en extrait parfois les pétales, les met en scène comme il le ferait pour une star, lui prodiguant des soins de maquillage en s'aidant ici d’un simple Iphone pour les photographier. A la lumière naturelle, sur une table, il dispose minutieusement bouquets, tiges, vases et corolles et l’équilibre de la composition est en elle-même un défi à la réalité. Puis il manipule l’image à l’aide de filtres, en redessine les contours à l’aide d’un crayon numérique et d’un logiciel pour en accentuer l’aspect artificiel. Et par le biais de l’intelligence artificielle, il oppose la méta-fleur à la métaphore, la beauté magnifiée à la beauté naturelle.
L’effet est spectaculaire. Nous voici aspirés dans des volutes de brumes sirupeuses, des carnations transparentes, irriguées de veinules et de nuages pour des assomptions vertigineuses. Et ces fleurs, si belles, plus elles tentent de s’extraire de la tradition de la nature morte et des vanités, plus elles se voilent pourtant d’une certaine mélancolie. So British! se dit-on. Et avec avec une pointe de kitch, pourrions-nous ajouter. Pourtant Nick Knight reste un intraitable travailleur d’images. A l’instar des pétales qui s’alanguissent, il en connaît la beauté dangereuse. C’est sur les rivages de celle-ci que le photographe nous conduit. Les matières sont floconneuses et dessinent des limbes entre enfer et paradis. Et de ses roses, il pourrait dire comme l’auteur des Fleurs du Mal, «Les nuages, les merveilleux nuages...»
En contrepoint de cette évanescence, la Galerie adjacente au Musée présente des œuvres de Catherine Larré. Voici une beauté vénéneuse quand la fleur est saisie dans les affres de la photographie. Ce que celle-ci capte ce n’est plus un état des choses mais un processus de gestation et de décomposition. La fleur est tour à tour déchirée, intégrée dans le trouble d’une narration ou pareille à un organe et à ses fluides. L’image étouffe dans le cadre ou bien se déchire ou adhère à des installations périlleuses. Elle exhale le souffre de la fascination pour les pétales délabrés qui donnent naissance à d’autres vies, d’autres rêves que l’artiste effleure et déflore.