Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, Paris
Jusqu’au 6 novembre 2022
Ce ne sera jamais la plus prestigieuse école d’art qui fera un artiste. Au mieux celle-ci lui permettra-t-elle de faire connaître son travail et de pouvoir exister aux yeux des commissaires, des galeries et autres institutions. C’est pourtant par le seul regard de l’artiste mais aussi par cette intériorité qui le recompose que l’œuvre se construit sur des effets de mémoire et dans une osmose avec tous les liens nous rattachant à l’univers et à la nature. A cet égard les peintures de Sally Gabori sont particulièrement édifiantes. C’est en 2005, âgée de 80 ans qu’elle se met à peindre. Jusqu’à sa mort en 2015, elle réalisera une œuvre très personnelle, en marge de tous les courants, sans réelle influence de l’art aborigène. Née dans l’île Bentinck au nord de l’Australie, elle appartient au peuple Kaladilt dont elle parle la langue. En 1948, à la suite d’un cyclone, les derniers habitants sont évacués pour être installés dans une mission dans l’île Mornington où elle découvrira la peinture dans un centre d’art après plus de cinquante années.
Lors de cet exil, Sally Gabori peindra environ 2000 œuvres associées à des lieux précis de son île natale. Après de petits formats, ce sont des toiles monumentales qu’elle réalise parfois avec d’autres femmes kaladilt. La terre, le ciel, la mer tel est l’univers de l’artiste dans la résonance d’une mémoire qui s’inscrit dans la lumière. Tout l’art de Sally Gabori consiste à capter les fluctuations météorologiques, la qualité de l’air, les couleurs d’un nuage et les brutales variations climatiques en les accordant à son attachement à une culture et à une langue disparue. Somptueuses par leur rythme, audacieuses dans leurs couleurs, les toiles diffusent cette vibration qui relie l’artiste aux forces de l’univers. Ses paysages sont ceux du souvenir et de la fusion avec un regard collectif perdu. Il y a là comme un éblouissement, une révélation d’ordre spirituel pour cette splendeur que la peinture peut encore révéler. La couleur vit, elle se métamorphose sur la toile, se dépose et se dissipe aussi vite qu’elle est apparue. Elle s’accorde à des gestes et des signes dont nous soupçonnons pourtant la gravité du langage. Voici une peinture de vérité. Il suffit de la regarder pour en éprouver la force.
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