Un joli titre qui actualise cependant une crise contemporaine à travers les flux de temps quand ils se cognent à l'espace. Cet espace-là est ouvert, informe, au point de perdre tout contour, voire toute réalité physique, quand il se réduit aux flux de l'économie comme défi à toute géographie.
Si
Nasr-Eddine Bennacer met en question le mondialisme, puisque tel est
le sujet de son œuvre, c'est dans le sens d'une mise en examen qui
déboucherait sur un non lieu. Aussi n'y a-t-il pas procès mais
plutôt un « état des lieux », avec un relevé d'indices
qui suffisent à dire le monde tel qu'il est. Cet état se réduit
ainsi à un dehors, à une forme d'irréalité, à un hors topos -
c'est à dire à une forme d'utopie réalisée. Un oxymore donc, de
ceux qu'affectionnent les artistes quand il devient le champ de tous
les possibles, aussi contradictoires soient-ils, et qu'il s'accorde
à la multiplicité des techniques dont ils disposent.
N-E
Bennacer décrit avec une parfaite maîtrise de son art cette
circulation qui réduit les voyages à des flux de marchandises, qui
condamnent tout homme à l'exil, fût-il intérieur. De l'humanité
ne subsistent plus ici que des épaves de sens que l'artiste dessine,
peint, assemble dans de puissantes techniques mixtes ou de subtiles
installations. La force esthétique des signes convoqués -jeux sur
des langues anatomiques ou des tours de Babel – suffit à donner
sens au seul témoignage sans que l'artiste n'ait à recourir au
pathos ou à l'argumentation. Tout est saisi dans une forme
d'évidence qui exclut tout débat. L'artiste parvient à définir
l'essentiel, ce qui échappe à toute règle, ce qui témoigne d'un
temps et d'un espace qui, peut-être, se dissolvent, mais dont l'art
assume encore la possibilité d'y déposer une espérance d'humanité.