Musée Jean Cocteau, Menton
Ce qui frappe d'emblée c'est cette voracité qui signe l' œuvre
comme si celle-ci, au-delà de ses propres exigences, devait
s'emparer et de l'espace et du temps, les traduire dans de nouveaux
matériaux ou, à l'inverse, revenir vers des pratiques artisanales
pour élaborer ce qui serait une architecture de l'imaginaire.
Caroline Challan Belval n'est pas l' artiste qui se laisserait
enfermer dans un champ déterminé et, plutôt que de s'octroyer un
plein pouvoir décisionnaire sur l’œuvre, elle se laisse absorber
par l'extériorité du monde pour se l'approprier et en proposer ,
non pas des hypothèses pour un regard, mais l'élaboration d'un
autre modèle. La construction de l'imaginaire qui en résulte n'est
plus de l'ordre de la fantaisie mais se heurte à ce que sciences et
techniques alliées à une réflexion sur l'histoire ont pu y déposer
comme traces formelles et sémantiques. Car une forme nouvelle
implique d'autres significations et une ouverture au monde, entre
arts et sciences, qui extrait de notre savoir ces strates historiques
comme composantes d'une histoire qui se confond à celle de
l'artiste. Celle-ci utilise tous les matériaux, les plus
traditionnels ou les plus novateurs. Ils sont cette peau, cette
visibilité qui donne chair au sens. Verre, peinture, dessin,
sculpture, gravure, tout est absorbé dans une multiplicité de
supports qui diffusent leur lumière et renvoient au désir de créer,
de rêver certains objets par de nouvelles substances, d'en mouler
d'autres à partir d'éléments anciens pour en faire jaillir cette
parenthèse dans laquelle, entre fragilité et constance, le sens de
déploie.
Dans un espace mouvant qui nous entraîne dans des univers en
apparence disparates, nous oscillons d'un globe terrestre à un
portrait peint à l'huile, ou vers des colonnes inversées quand leur
mémoire archéologique est niée par la relation au numérique et
aux nouvelles technologies. Tout fonctionne alors en décalage, par
collisions entre le futur et l'ancien, et il ne s'agit plus alors de
« mettre le monde à jour » par le biais de l'art. A
contre courant d'une innovation incrémentale, Caroline Challan Belval s'implique du côté d'une innovation disruptive. Ce qui
signifie que l’artiste ne saurait être un copiste ni même celui
qui corrigerait l'histoire de l’art par l'adjonction de nouveaux
éléments. L'artiste impose son récit dans une autre économie
que celle qui présidait à notre culture. Ses traces, par de
multiples références à des phases artistiques souvent
contradictoires, lui permet d'établir des relations d'équivalence
et de conflit entre ces systèmes. Aussi cette exposition « Le
testament d'Eve » entre-t-elle en résonance avec cet autre
testament de Cocteau, celui d'Orphée qui permettait au poète de
rebondir dans un autre temps. La radicalité de Caroline Challan
Belval consiste à retourner à Eve, au mythe de l'origine de
l'humanité.
Le temps est la matière dans laquelle une œuvre s'inscrit et, ici,
l'artiste parvient à modeler cette matière avec raffinement et
intelligence dans une grande prodigalité de langages. Et ce temps
est aussi une fenêtre sur le futur quand l’œuvre permet d'en
imaginer les contours.
Michel Gathier
Du 02/12/2017 au 19/03/2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire