lundi 4 décembre 2017

Caroline Challan Belval, "Le testament d'Eve"

Musée Jean Cocteau, Menton



 Ce qui frappe d'emblée c'est cette voracité qui signe l' œuvre comme si celle-ci, au-delà de ses propres exigences, devait s'emparer et de l'espace et du temps, les traduire dans de nouveaux matériaux ou, à l'inverse, revenir vers des pratiques artisanales pour élaborer ce qui serait une architecture de l'imaginaire.

Caroline Challan Belval n'est pas l' artiste qui se laisserait enfermer dans un champ déterminé et, plutôt que de s'octroyer un plein pouvoir décisionnaire sur l’œuvre, elle se laisse absorber par l'extériorité du monde pour se l'approprier et en proposer , non pas des hypothèses pour un regard, mais l'élaboration d'un autre modèle. La construction de l'imaginaire qui en résulte n'est plus de l'ordre de la fantaisie mais se heurte à ce que sciences et techniques alliées à une réflexion sur l'histoire ont pu y déposer comme traces formelles et sémantiques. Car une forme nouvelle implique d'autres significations et une ouverture au monde, entre arts et sciences, qui extrait de notre savoir ces strates historiques comme composantes d'une histoire qui se confond à celle de l'artiste. Celle-ci utilise tous les matériaux, les plus traditionnels ou les plus novateurs. Ils sont cette peau, cette visibilité qui donne chair au sens. Verre, peinture, dessin, sculpture, gravure, tout est absorbé dans une multiplicité de supports qui diffusent leur lumière et renvoient au désir de créer, de rêver certains objets par de nouvelles substances, d'en mouler d'autres à partir d'éléments anciens pour en faire jaillir cette parenthèse dans laquelle, entre fragilité et constance, le sens de déploie.

Dans un espace mouvant qui nous entraîne dans des univers en apparence disparates, nous oscillons d'un globe terrestre à un portrait peint à l'huile, ou vers des colonnes inversées quand leur mémoire archéologique est niée par la relation au numérique et aux nouvelles technologies. Tout fonctionne alors en décalage, par collisions entre le futur et l'ancien, et il ne s'agit plus alors de « mettre le monde à jour » par le biais de l'art. A contre courant d'une innovation incrémentale, Caroline Challan Belval s'implique du côté d'une innovation disruptive. Ce qui signifie que l’artiste ne saurait être un copiste ni même celui qui corrigerait l'histoire de l’art par l'adjonction de nouveaux éléments. L'artiste impose son récit dans une autre économie que celle qui présidait à notre culture. Ses traces, par de multiples références à des phases artistiques souvent contradictoires, lui permet d'établir des relations d'équivalence et de conflit entre ces systèmes. Aussi cette exposition « Le testament d'Eve » entre-t-elle en résonance avec cet autre testament de Cocteau, celui d'Orphée qui permettait au poète de rebondir dans un autre temps. La radicalité de Caroline Challan Belval consiste à retourner à Eve, au mythe de l'origine de l'humanité.

Le temps est la matière dans laquelle une œuvre s'inscrit et, ici, l'artiste parvient à modeler cette matière avec raffinement et intelligence dans une grande prodigalité de langages. Et ce temps est aussi une fenêtre sur le futur quand l’œuvre permet d'en imaginer les contours.
Michel Gathier


Du 02/12/2017 au 19/03/2018






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