Le Suquet des Artistes, Cannes
Jusqu’au 21 janvier 2024
La peinture illustre toujours une histoire du temps qui s’inscrit en images, matières et couleurs. Pourtant c’est bien le dessin qui en dévoile la trame. Il en révèle aussi son récit en se rapportant à des lignes et des courbes à l’instar d’une écriture. Jean-Philippe Roubaud revendique la puissance du dessin comme acte fondateur, préalable à tout autre mode de représentation, à toute pratique artistique du moins jusqu’à ce que la peinture prenne son autonomie au cours du XIXe siècle. Dans son sillage, de l’art moderne à l’art contemporain, ce sont alors de nouveaux concepts, d’autres définitions et des pratiques inédites pour intégrer l’art à la vie.
La lumière s’énonce en espace et couleurs quand pourtant le dessin quant à lui, se réduit au trait, à un noir et blanc d’où surgit un clair obscur qui désigne la couleur avant de la représenter. L’artiste explore ces paradoxes comme autant de variations sur la vie et la mort. Cet acte fondateur du dessin s’imprime dans les œuvres présentées - dessins sur papier à partir de poudre graphite, céramiques décorées au crayon oxyde ou installations quand J.P Roubaud crée des caissons en inox pour dissimuler le dessin ou quand il répand un quadrillage sur le sol comme rappel de la mise en carreau préalable à bien des œuvres, mais aussi au carroyage des fouilles archéologiques. L’artiste extirpe alors la mémoire comme un révélateur de l’essence même de la représentation. C’est ainsi qu’il «dessine la peinture», en décline tous les états, parfois même grâce à la présence de photographies quand il brouille les pistes dans la confusion de l’agrandissement de certains détails dans des tableaux anciens et leur relation au dessin. La didascalie est ce discours en marge d’une représentation théâtrale.
Sur des papiers de grand format, l’artiste excelle, en virtuose de la composition, à représenter des scènes se rapportant à la course du temps en jouant avec des symboles, du trompe-l’œil, du maniérisme, tout en désignant parfois le glissement vers l’abstraction. C’est alors l’ensemble de l’art qui est saisi, parfois dans le réalisme d’un autoportrait, souvent dans un jeu de métaphores pour fouiller le passé, en extraire les thèmes fondateurs et les relier aux inquiétudes d’aujourd’hui et à la pérennité du Memento mori.
Œuvres durables ou bien éphémères, dans l’espace d’une ancienne morgue, l’artiste déploie quelques 81 dessins mais aussi de vastes fresques qui leur répondent dans l’illusion de grottes ou de chapelles. Le dessinateur est aussi un archéologue qui médite sur les strates de l’histoire de l’art comme si celles-ci refluaient par vagues et déferlaient sur notre présent pour dire ce qu’aujourd’hui nous sommes.