Galerie Eva Vautier, Nice
Jusqu’au 10 juin 2023
Se prévaloir de l’exhaustivité renvoie toujours à la volonté démiurgique de vouloir épuiser un sujet, d’en circonscrire tous les aspects et d’en mesurer aussi bien la portée anthropologique que les conditions de son existence. Une telle démarche se heurtera toujours au projet scientifique quand il est poussé jusqu’à l’absurde du prélèvement jusqu’à l’analyse. Florian Schönerstedt, au Musée d’archéologie de Nice, avait présenté «Méta-Archéologie» en 2019, une exposition dans laquelle il exhibait l’ensemble des emballages utilisés dans sa famille durant toute l’année 1916. Plastiques et cartons nettoyés, conservés soigneusement dans des poches transparentes se retrouvent réactualisés ici par un nouvel accrochage et transformés par le traitement numérique auquel l’artiste soumet sa récolte de reliques ordinaires.
Mais l’enveloppe même est l’indice d’une dépense et d’une disparition. Comment ne pas penser alors à ce strict protocole auquel se livra George Pérec autour de la consommation dans «La vie mode d’emploi» lorsqu’il jouait de l’interaction du collectionneur qui accumule et du joueur qui truque et dissimule. Dans une démarche analogue à l’écrivain, Florian Schönerstedt rassemble les fragments du quotidien mais en y apposant le virtuel aux confins de l’absurdité.
Collecter et collectionner se confondent sur le monde marchand. Collectionner revient à sélectionner sur des critères esthétiques, voire sentimentaux, selon un choix personnel, tandis que collecter suppose neutralité et utilité. On collecte les déchets pour les détruire, les recycler ou bien, ici, les conserver dans un but archéologique. Le prélèvement suppose classement et construction d’un sens au-delà même de toute visée documentaire. Tout est contrôlé dans l’œuvre de Schönerstedt mais l’aspect obsessionnel, voire maniaque, se trouve contrecarré par l’apport de l’intelligence artificielle et la menace de déshumanisation qu’elle implique.
Dans un film d’animation «Les cartes du champ de bataille», l’aléatoire du jeu répond à l’inexorable de la transformation. C’est ainsi qu’aux limites de l’art, de la science et d’une réflexion philosophique, l’œuvre s’élabore. Irréel, virtuel et poétique se croisent quand l’artiste crée un objet hybride à partir des seules données numériques. La récolte de diverses feuilles soumises à la seule intelligence artificielle, produit alors «Les feuilles de l’arbre qui n’existe pas».
Florian Schönerstedt juxtapose ainsi le quotidien le plus trivial à un impossible vertigineux. Dans cet interstice se façonne une autre manière d’appréhender l’art au-delà de toutes les catégories traditionnelles - dessin ou sculpture - pour l’insérer dans l’ordre de l’aléatoire, du jeu et de nouveaux territoires à explorer.