Musée Picasso, Paris
Jusqu’au 2 juillet 2023
En plusieurs tableaux, c’est dans une écriture noire, tour à tour sombre et lumineuse qu’un récit se construit. Né à Harlem en 1930, Faith Ringgold nous entraîne dans une vaste fresque de cette Amérique noire qui prend conscience de son histoire et de son destin. Dans la résonance du jazz et d’une communauté noire en pleine mutation, c’est une femme qui s’affronte aux règles dictées par des blancs et des hommes, une femme avec une autre écriture pour dire l’art occidental quand il rencontre ce qu’on appela «l’art nègre», Picasso, l’art textile mais aussi l’art mural, la typographie, la mosaïque et même des livres pour enfants. C’est la vie en noir et blanc, mais aussi dans son éruption de couleurs et de styles, celle qui jaillit d’une œuvre riche en anecdotes et en matières.
«Je voulais montrer qu’il y avait des Noirs quand Picasso, Monet et Matisse faisaient de l’art. Je voulais montrer que l’art africain et les Noirs avaient leur place dans cette histoire.» Voici donc un nouveau chapitre qu’ouvre Faith Ringgold dans le Musée Picasso en se mesurant au peintre, à l’histoire de l’art occidental mais aussi à toutes les ségrégations qu’elle illustre aussi bien par la place de la femme, que du racisme ou de toute autre hiérarchie culturelle. Le regard engagé de l’artiste se lit dans un foisonnement de pratiques que Cécile Debray, commissaire de l’exposition, est parvenue à exprimer avec clarté et pertinence par le choix des œuvres, dans la scénographie d’une expérience artistique unique dans sa durée, sa diversité et dans l’engagement obstiné d’une artiste.
Celle-ci s’inscrit dans l’histoire de ce creuset culturel de l’Amérique que fut Harlem. L’exposition s’ouvre sur «Lumière noire» car la couleur d'un corps est aussi une réflexion sur la peinture, son développement et ses manques. Elle se poursuit donc sur ses apports dans un aspect autobiographique, les voyages de l’artiste en Europe, sa découverte des tankas tibétains qu’elle adapte en broderies avec l’aide de sa mère, styliste, et en courtepointes. Les personnages interprètent un récit lié à cette histoire d’émancipation d’une communauté, avec des anecdotes en patchworks tissés dans la tonalité des fresques et des affiches comme pour prendre une distance afin de privilégier le sens plutôt que l’émotion. Il y a des mots, parfois une naïveté feinte et surtout cette volonté de ne jamais se répéter mais de toujours labourer le temps et l’espace pour s’ouvrir à un autre regard qui changerait le monde. « Mon art est ma voix » dit-elle. Du haut de ses 92 ans, cette voix vibre d’une superbe énergie à la fois bras de fer et clin d’œil face à la figure tutélaire de Picasso qui hante le lieu.