Musée Matisse, Nice
Jusqu’à février 2023
Toute perception d’une œuvre d’art implique un jugement au terme duquel il y aurait cette nuance de l’esprit et de la lettre - la stricte matérialité de celle-ci mais aussi ce qui l’excède par l’effet d’une production par le corps, le mental et le sensible. Dans une démarche conceptuelle, Agnès Thurnauer explore ces fluidités, les équivalences ou les contradictions inhérentes au livre ou au tableau pour les mettre en scène et les approfondir à partir de la souveraineté du mot et de sa relation au visuel. Ce qui pourrait n’être qu’un exercice intellectuel se révèle au contraire comme un superbe cheminement parmi les tours et détours du texte, de la forme et de la couleur.
Agnès Thurnauer n’isole jamais la lecture et l’écriture de sa pratique artistique. A la suite d’une visite au Musée Matisse, elle adresse cinquante lettres au peintre qui font l’objet d’un livre intitulé «Cher Henri,». Conçu comme une percée dans le temps, cet ouvrage est alors la clé d’une rencontre avec l’œuvre de Matisse et sa relation à la littérature. Cette correspondance résonne aussi dans un sens baudelairien à moins qu’elle ne diffuse dans les allées et les salles du musée les réminiscences des voyelles colorées de Rimbaud. Car au-delà de cette ascèse des mots c’est bien la poésie, l’incendie de la couleur et le trouble de la sensibilité qui s’emparent de cette identité qui se construit entre Matisse et Agnès Thurnauer. Pour en saisir les blancs et les interstices, les œuvres sont autant de fenêtres ouvertes sur de nouveaux paysages mentaux. Parfois des sculptures fonctionnelles ponctuent le sol et le corps peut alors s’y reposer. Ailleurs des couples de peintures sont comme les pages d’un livre ouvert où l’horizontalité du geste de lire se confronte à la stricte verticalité du tableau.
L’artiste nous entraîne ainsi dans un passionnant voyage à travers le langage. Peinture, aluminium ou verre, tout résonne dans l’héritage de Matisse et sa pensée - les livres qu’il avait illustrés mais aussi ses gouaches découpées comme des lettres, les vitraux lumineux ou l’empreinte du corps dans la stridence du noir quand il dessine une descente de croix. Agnès Thurnauer conduit un récit dans lequel chaque page énonce une découverte. Les changements d’échelle, les mots qui s’emparent de l’image, les renversements de perspective sont autant de trouées vers une expérience du regard en prise directe avec l’intelligence. Pourtant rien d’austère ici dans le rythme toujours changeant des formes et des couleurs. Si l’artiste parle à Matisse, on a le sentiment que celui-ci lui répond. Alors les mots et les tableaux s’égrènent en autant de notes qui redonnent vie au peintre lequel, en retour, semble rendre hommage à l’œuvre d’Agnès Thurnauer.