Centre Pompidou, Paris
Jusqu'au 29 août 2022
Comme nombre d'artistes américains de sa génération - elle est née en 1923 – Shirley Jaffe s'oriente vers un expressionnisme abstrait. Selon un parcours chronologique, l'exposition présente ses premières œuvres réalisées peu après son installation à Paris en 1949. C'est pourtant à la fin des années 60 que l'artiste rompt avec la gestualité pour initier une peinture savamment réfléchie qui transcrit le geste en signes et pense la couleur en termes de gammes chromatiques. A première vue, le tableau est ici aussi bien une toile blanche qu'une partition musicale que les aplats parfaitement structurés de la peinture recouvrent. Pourtant Shirley Jaffe récuse toute harmonie pour un art de la dissonance dont les modulations s’apparenteraient à la musique sérielle qui prévalait alors. Elle sera la peintre du déséquilibre.
Dans cette abstraction géométrique, le motif joue de toutes ses ambiguïtés. Certes il y a des cercles, des triangles mais aussi des spires et des grilles ajourées, des arabesques et des éléments de frises, toute cette circulation de signes qu'on retrouvait chez Kandinsky. Mais là où ce dernier s'attachait au mouvement, au rythme par le jeu des courbes et le jet des diagonales dans un ballet géométrique, Shirley Jaffe crée un puzzle par lesquels les éléments se mesurent et se contrarient mutuellement dans une confrontation silencieuse. Les motifs sont traités par masses de couleurs franches et s'imbriquent les aux autres avant d'explorer leur autonomie dans l'incertitude du fond et de la surface. Le geste initial est désormais figé dans la sérénité du dessin. On retrouve alors la perfection des découpes de Matisse mais Shirley Jaffe pousse l'abstraction au point de désigner en creux ce qu'elle pourrait représenter comme élément d'un réel stylisé. La peinture n'est ni ornementale ni décorative, elle est muette et ne se désigne que par le rappel des éléments qui la constituent.
C'est là que l’œuvre de Shirley Jaffe atteint sa perfection. Tout s'attire, se juxtapose et se disloque. Tout se construit sur des oppositions et des correspondances. Une cartographie du possible s'esquisse là où on chercherait en vain une géographie de l'imaginaire. La peinture est là, aveuglante dans l'intelligence de sa beauté.