Collection Lambert, Avignon
Jusqu’au 20 février 2022
Cette impression d’abord de s’engouffrer dans les entrailles d’une nature réduite à l’épaisseur de roches ou de troncs d’arbres à moins qu’il ne s’agisse de flaques d’eau saisies dans les reflets de la lumière. Puis, peu à peu, l’œil se défait de ses attentes, se départit du souvenir de ces éléments et de toutes ces contingences qui d’ordinaire s’accrochent au dessin. On oublie donc le regard pour se laisser porter par l’errance. Par le dessin à peine rehaussé parfois de couleurs sourdes, Abdelkader Benchamma déjoue les pièges de la visibilité comme si la réalité physique se dérobait à toute représentation par la seule fusion de la ligne, de la courbe, de l’encre ou du fusain pour un exercice mental qui rattacherait la pratique du dessin à celle d’une écriture.
Pénétrer dans cet univers c’est s’aventurer dans le récit hasardeux des tensions, des flux et des tourbillons au rythme de notre mémoire sans jamais pourtant se laisser happer par le poids des images qu'elle suscite. De vastes dessins à hauteur d’homme s’échappent parfois de leurs cadres pour se hisser le long du mur. Le dessin est tenu à distance. Il s’insère dans une discipline, un retrait, un geste méditatif, un rituel. Le noir et blanc, les enroulements lents de la ligne, les modulations de la fluidité et des épaisseurs, tout s’inscrit dans un «rayon fossile» comme si le temps et l’espace s’imprégnaient de l’encre pour dire tout à la fois le jour et la nuit du monde.
La stricte virtuosité du dessin, toujours en marge de l’abstraction, se refuse à l’emphase et s’adosse aux plis d’un silence souverain. D’une salle à l’autre, le visiteur s’abandonne à un parcours initiatique pour une expérience de la perception qui l’entraîne dans une modification de la pensée. Regarder le dessin c’est alors se mesurer à la densité des choses et à leur perte. Écouter le froissement du vent dans le cœur d’une pierre. Subir l’injonction des symétries, des analogies, de l’arbitraire des découpes, des rythmes et des chemins qu’on nous ouvre. Entrer dans les dessins d’Abdelkader Benchamma c’est comme pénétrer dans un voyage quand Virgile nous prend par la main. Le merveilleux, il est là, tapi dans la présence muette du monde pour peu que nous sachions le contempler par la grâce d’une écriture qui en traduit toute la subtilité de ses gammes et de ses mystères.