Galerie Laurent & Laurent, Nice
Jusqu'au 15 janvier 2022
Frédéric Fenoll
Le singulier pluriel
Des multiples définitions de l'art, on n'en retiendra aucune. D'autant plus que les adjectifs qui s'y rattachent accentuent leurs contradictions pour un champ toujours plus vaste quand, de l'objet ou de l'attitude jusqu'à l’œuvre, ou bien du simple «regardeur» jusqu'à l'artiste, tout se fond dans l'énigme d'un seul mot: L'art. Moderne, singulier, brut, naïf...? Y a t-il un art contemporain différent comme le suggère le titre de l'exposition ou bien cet art contemporain se définirait-il justement par cette différence et son refus de toute définition préétablie? La mise en cause de la durabilité de l’œuvre, de son aura, de sa matérialité ou de sa valeur esthétique sont autant de critères pour «un état gazeux» pour reprendre l'expression d'Yves Michaud. Au contraire, les œuvres de l'art brut et singulier s'inscrivent dans une tradition moderne du sujet en marge de l'art officiel.
Si l'art contemporain se fonde sur la différence – à tel point qu'il peut paradoxalement se dissoudre dans l'impression du déjà vu – l'art singulier relève d'un même pléonasme par sa relation à l'art moderne où la singularité des formes est érigée en valeur suprême. Pourtant cet art «singulier», à la frontière de l'art brut, par son rejet des écoles, des académies et des discours institutionnels, accentue la position centrale du sujet à tel point que le corps et sa ritualisation, l'inconscient, la pulsion échappent aux failles de l'Histoire et se livrent à nu par l’intermédiaire de l'image. L'art singulier s’inscrit dans une thérapie par le biais de la figuration et de l'iconographie.
Dix artistes vagabondent autour de ce corps si peu singulier qu'il apparaît démembré, pris dans les rets de la nature, du rêve ou du cauchemar. Le corps est ici une excroissance du monde, un résidu du cosmos, une souffrance de la mise en question. Expression d'un cri ou d'un silence, il répugne à toute rationalité pour défricher les territoires de l'occultisme, du chamanisme et toutes les ondes qui le relient à l'univers. Contre l'art contemporain, l'art singulier méprise le poids de l'histoire mais plus encore, la légèreté de l'éphémère du temps présent et l'inconsistance de l'action. L'art singulier appose la marque indélébile d'une identité de l'artiste, comme une cicatrice, par l'originalité d'un style, le refus d'un discours communautaire et de son ancrage dans l'histoire de l'art.
De l'écriture automatique au surréalisme, de l'apport des arts primitifs ou de ses relations avec l'occultisme, les influences ne manquent pourtant pas pour cet art qui se veut marginal. Catherine Ursin parle de la violence de l'âme dans des visions traversées par le spiritualisme tandis que Frédéric Fenoll explore toujours des voies nouvelles. Autrefois peintre, hier dessinateur, il explore désormais cet entre-deux quand il se soustrait à ce tissage des fils de l'univers pour revenir à l'empreinte de ce corps qui l'organise. Des flaques de lumière boueuses en cernent les contours. Le corps est cette dérive visionnaire. Ailleurs les assemblages de bois flotté de Marc Bourlier évoquent des esprits surgis de la matière. Voyage dans l'espace et le temps, l'exposition se concentre sur des individualités qui revendiquent leur liberté de vivre l'art dans le seul défi de l'aventure.
Avec: Mina Mond, Richard Di Rosa, Gene Mann, François Jauvion, Evelyne Postic, Marc Bourlier, Catherine Ursin, Serge Demin, Lou Le Cabellec, Frédéric Fenoll