Galerie Eva Vautier, Nice
Jusqu’au 15 janvier 2022
Les raisons de la colère
Corps à corps entre l’œuvre et celle de l’artiste qui la produit, les dernières photographies d’ORLAN se confrontent aussi à la peinture de Picasso et au visage de Dora Maar. Ce face à face violent se matérialise dans un cri. «Ceci est mon corps!», pourrait lancer ORLAN comme pour un blasphème face à l’ogre et à ce dévoreur de femmes que fut Picasso. L’artiste déchire ainsi des figures déjà décomposées pour y introduire des marques de son propre visage et sur la douleur des pleurs, elle appose le sceau de la colère. Celle-ci s'explose sans fard: outrance des organes et de la couleur criarde, décomposition des supports de l’art quand, à la réalité d’un corps, se superposent photographie et peinture.
Toutes les techniques se confondent alors et sur la surface lisse et froide de la photographie, ORLAN recompose le souvenir du corps comme une plaie à vif. Corps blessé, mutilé, fractionné dont le visage serait une excroissance nourrie de la sève du sanglot. En parallèle à l’exposition, le festival vidéo OVNi présente «La liberté en écorchée», une danse nocturne de corps dépecés, mis à nu dans leur nudité même.
La violence s’inscrit au creux du tissu humain mais ici, par effet de miroir, le visage de la colère s’incarne dans les grands formats photographiques hybridées d’ORLAN. Les lèvres sont des chairs gonflées, les globes oculaires se hérissent face aux larmes et le visage réduit à cette accumulation de signes reflète celui de celle qui s’empare de cette violence comme une arme pour défendre la femme. Oreilles, cheveux, dents, le corps féminin se réduit à un assemblage où se joueraient les seuls codes de la séduction et de la répulsion. Réduite à son corps, l’artiste femme l’utilise comme la chair même de son art. ORLAN incarne, au sens fort, un féminisme politique. L’étymologie recèle souvent le sens caché d’un mot: Si «monstre» et «montrer» relèvent d’une même origine, il y avait l’idée d’un avertissement des dieux et d’un prodige. Les «monstres» d’ORLAN désignent l’apparition de ces corps en lutte, hérissés dans la seule beauté de la colère. «Je suis ce corps, nous dit ORLAN, je suis le corps de la femme.»