Musée Matisse, Nice
Jusqu'en mars 2022
Ce n'est pas faire injure à Noël Dolla que de percevoir son œuvre à travers le prisme de l'histoire de la peinture et plus précisément, pour ces derniers travaux, dans le souvenir des immenses toiles de Barbett Newman. Il y a bien sûr le rappel de ce « zip », de cette ligne qui ouvrait l'espace et dont l'importance, pour l'artiste américain, se substituait aux champs colorés qu'elle définissait. Pour l'un comme pour l'autre, il s’agissait d'un engagement social, d'une volonté de créer un espace à taille humaine pour y insérer celui qui regarde, pour contrer le regard académique et imposer l'abstraction afin d'inscrire le geste d'une pensée. Le noir et le blanc des « Stations of the Cross » en 1952 marqua l'aboutissement d'un travail sur les effets optiques, le refus du pinceau et la relation du corps à un environnement pictural. Mais ces toiles concentrèrent sans pathos l'idée d'une histoire de la douleur et, de façon plus aiguë encore, Noël Dolla inscrit, à travers cette série, la peinture dans la chair d'une histoire meurtrie par les horreurs de la guerre et de ses causes.
Quand le zip-éclair de Newman libérait l'espace, la ligne définie par Dolla imposerait davantage le signifiant d'une déchirure. Elle s'étend, parfois sur plusieurs mètres, comme une ligne de barbelés dans un champ d'une blancheur livide. Ce déroulement de la toile c'est la page vide de l'Histoire, cette écriture qui ne s'inscrira nulle part aussi longtemps que la barbarie et l'injustice imposeront leur loi. Inutile donc de les représenter quand l'abstraction suffit à leur donner corps. Noël Dolla dépose alors les traces des tirs de ces snipers qui laissent sur leur sillage ces traînées de sang, ces éclats de feu et les taches sombres de la mort. La souffrance des corps n'apparaît pas ici, comme absorbée déjà dans le linceul de la toile. De même que cette peinture est en elle-même une expérience du corps quand Dolla, pour réaliser ces « Fleurs du Mal », a dû construire un dispositif d'une dizaine de mètres pour se déplacer horizontalement le long de la toile pour y souffler de la couleur mais aussi ramper, retrouver le temps du tir et de l'impact, enfin découvrir le résultat de « l'exécution ».
L'écho des pulsations s'inscrit alors sur l'écran de la peinture. Derniers râles ou plaintes chargées d'espoir, tout s'écrit ici dans l'espace vierge de la toile. Celle-ci se distribue dans la continuité des murs blancs et des cimaises du Musée Matisse. Espace tautologique du tableau qui est aussi une scène qui est aussi le lieu même dans lequel celui-ci se trouve. Et Matisse y est présent. Ses découpes de lumière. Ses espaces recomposés. Noël Dolla peint ainsi le Musée et l’œuvre du peintre dont il dira : « Ma première rencontre avec la peinture, en vrai, c'est Matisse. »