HAB Galerie, Nantes
Jusqu'au 26 septembre 2021
Au Moyen-Âge les moines copistes recopiaient inlassablement sur des parchemins les pages de la Bible en les revêtant parfois d'enluminures pour diffuser et célébrer la parole divine. Aujourd’hui l'artiste se soumet aussi à des protocoles strictes et à ses propres rituels. Le scriptorium du moine se transforme alors en atelier pour des tâches répétitives, obsessionnelles et l'ennui ou la démesure se disputent souvent à l'absurdité quand il s'agit de juste passer le temps, d'inscrire une nouvelle page dans l'existence, de combler un vide métaphysique. Gilles Barbier écrit, peint, illustre tout cela à travers une multiplicité de supports. « Travailler le dimanche », s'imposer des contraintes sans autre finalité que le simulacre, l'arbitraire et la répétition est cette page de l'art que l'artiste écrit dans un humour sombre.
Sur une feuille de papier d'un format géant, il recopie soigneusement à la main tous les dimanches depuis trente ans, les pages du Petit Larousse Illustré de 1966. La définition de chaque mot est fidèlement reportée à l'encre tandis que les images en couleur ou en noir et blanc sont reproduites à la gouache. Bien sûr, quelques omissions ou erreurs peuvent se produire et elles sont alors corrigées dans un erratum sur un autre cadre en parallèle à la page. Un accident, tel que le café qui se renverse sur le texte, subira la même opération.
L'hybris de la connaissance se heurte aux multiples incidents du quotidien et les œuvres de Gilles Barbier, au-delà de l'austérité apparente du propos, résonnent dans un rire grinçant qui traverse l'espace et met en scène la permanence du corps. A ce travail du dimanche, il superpose des sculptures de personnages grotesques en cire ou en résine mais l'écriture occupe toujours sa place prépondérante. Quand ce n'est pas la voix puisque, dans une salle entièrement peinte en rose, il reprend la page rose du dictionnaire avec des animaux taxidermisés et un mélange de sons reproduisant les locutions latines correspondantes. Langue morte à la mesure d'une langue vivante en péril par la disparition des mots et des images ? L'indistinction et la disparition programmées dans l'ère numérique ? Gilles Barbier écrit : « Cette copie c'est mon CHÂTEAU DE SABLE, une performance à l'échelle de ma vie. Les mots sont les grains de sable, collés ensemble par l'ordre alphabétique, la page est ma plage. » Il n'y a donc ici que les mots et les choses, sans l'idée d'une quelconque transcendance. L'exposition des travaux de Gilles Barbier, entre tragique et comédie, propose une vision implacable de notre monde.